Le témoin

1 – Route de campagne. Extérieur. Fin de journée.

Un vieux break rempli de tableaux roule tranquillement sur une petite route vallonnée. Au volant, Marc, un homme d’une quarantaine d’années, sifflote en négociant les virages.

Brusquement, un coup de klaxon le fait sursauter. Avant même qu’il n’ait le temps de se serrer sur le bord de la route, une grosse Mercédes noire le double dans un crissement de pneus.

En se rabattant avant le virage, la Mercédes, déportée par la vitesse, quitte la route et, après plusieurs tonneaux, finit sa course au fond d’un ravin.

Marc freine brutalement et reste un instant accroché à son volant, hébété. Puis il jaillit hors de sa voiture et se précipite au bord de la route. La Mercédes repose sur le côté, plusieurs mètres en contrebas.

MARC

Merde !…

Marc dévale la pente et s’arrête près de la voiture accidentée. Il n’y a qu’un seul occupant, le conducteur, inanimé, la tête contre le volant. Il semble mort.

Marc se jette sur la portière et essaie de l’ouvrir. Après quelques secondes d’effort, la portière cède brusquement.

Projeté en arrière, Marc se retrouve assis par terre, un mètre plus loin. Une valise tombe de la voiture à ses pieds, et s’ouvre. Toujours assis par terre, Marc regarde, incrédule, les liasses de billets posées devant lui.

Brusquement, Marc referme la valise, l’empoigne, se relève et s’enfuit, sans un regard pour le conducteur.

2 – Rue village. Extérieur. Jour

Au volant de son break, Marc, tendu, traverse un petit village. Il passe devant une cabine téléphonique et freine avec un temps de retard. Il reste au volant, immobile, puis passe la marche arrière et revient s’arrêter devant la cabine téléphonique.

Il descend de sa voiture, entre dans la cabine téléphonique, décroche et compose un numéro d’urgence.

MARC

Allô ? Police ? Je… je voudrais signaler un accident … Oui, sur la nationale, à environ 5 kilomètres, une voiture a quitté la route … Une Mercédes … Non, je ne sais pas.

Marc raccroche précipitamment, remonte dans sa voiture et démarre.

3 – Restaurant-bar. Intérieur. Nuit

Le bar est sombre et triste. Marc, la valise posée à côté de lui, attablé devant un whisky, est le seul client.

Le silence et la nuit sont soudain troublés par les gyrophares et les sirènes de plusieurs voitures de police qui passent à vive allure sur la route devant le restaurant-bar. Marc suit un moment les lumières du regard et ne peut s’empêcher de poser sa main sur la valise et de serrer nerveusement la poignée.

Puis, le calme revenu, il avale son whisky d’un trait et se lève.

4 – Route. Extérieur. Nuit

Marc, tendu, roule en écoutant la radio.

Il change fréquemment de station, à la recherche de bulletins d’informations.

5 -Lyon. Rue. Extérieur. Nuit

Marc s’arrête dans une petite rue, devant un portail donnant accès à une impasse.

Il sort de sa voiture, ouvre le portail, regarde autour de lui si personne ne l’observe, remonte dans sa voiture, entre dans l’impasse, s’arrête, sort de sa voiture, jette à nouveau un coup d’œil dans la rue, referme le portail, remonte dans sa voiture et va se garer tout au fond, devant une sorte de hangar.

Il sort à nouveau de sa voiture, prend la valise, puis, laissant la voiture ouverte, ouvre la porte du hangar.

6 – Loft. Intérieur. Nuit

Marc entre dans le hangar, transformé en atelier d’artiste avec une petite loggia qui sert de chambre à coucher. Il pose la valise sur une table à dessins, puis ferme la porte à double tour et met le crochet de sécurité.

Il revient vers la table à dessins, ouvre la valise, prend une liasse de billet, la feuillette, la remet en place, en prend une autre, caresse les billets, les remet en place, et contemple, immobile, les liasses de billets de banque.

Puis il referme la valise, prend une bouteille de whisky et un verre, s’assied dans un fauteuil, se sert un grand verre et boit, le regard vide.

7 – Impasse. Extérieur. Matin.

Jean, un homme d’une cinquantaine d’années, barbe et cheveux longs, sort du hangar voisin, aperçoit la voiture de Marc, s’en approche, regarde les tableaux à l’intérieur et hoche la tête en signe de réprobation en constatant que la voiture n’est pas fermée.

Il s’approche du hangar-loft de Marc et frappe à la porte.

8 – Loft. Intérieur. Matin

Marc est endormi, tout habillé, dans le fauteuil, le verre et la bouteille de whisky vides à côté de lui.

Brusquement, les coups frappés contre la porte le réveillent. Il regarde autour de lui, hagard, aperçoit la valise posée sur la table à dessins, se lève d’un bond, prend une couverture par terre et recouvre la valise.

Puis, d’un pas hésitant, il va ouvrir la porte. Mais il est obligé d’abord d’enlever le crochet de sécurité et d’ouvrir les verrous.

Il se retrouve face à Jean.

JEAN, étonné

Qu’est-ce qui se passe ? Tu t’enfermes à double tours et tu laisses ta voiture ouverte avec toutes tes toiles à l’intérieur.

Sans attendre de réponse, il enchaîne rapidement.

JEAN

Ben dis donc ! Tu as une de ces têtes …

MARC

Écoute Jean, je suis rentré tard et…

JEAN (l’interrompant)

Je devais dormir, je t’ais pas entendu. Je vais t’aider à rentrer tes toiles. …

MARC

Je les rentrerai tout à l’heure, et j’enlèverai la voiture de là.

JEAN

Non, tout de suite. Tu sais que les voitures sont interdites dans l’impasse et on a assez d’ennuis avec le proprio comme ça.

Jean fait un pas pour entrer dans le Loft, mais Marc le repousse.

MARC

Tout à l’heure ! Pour l’instant, j’ai besoin d’une douche et d’un café. Merci quand même.

Il referme la porte sur Jean, trop surpris pour réagir.

Marc se dirige vers le coin salle de bains, ouvre la petite armoire pharmacie, prend une boîte de cachets d’aspirine, en avale deux rapidement et boit de l’eau à même le robinet.

Il s’asperge le visage, et retourne vers la table à dessins. Il enlève la couverture, regarde la valise et l’ouvre. Il contemple à nouveau, sans bouger, les liasses de billets.

Puis il sort un sac de sport d’une armoire, en vide rapidement le contenu, et entasse pèle mêle les billets dans le sac. Il garde une liasse qu’il glisse dans sa poche, et referme le sac.

Marc range ensuite la valise dans une armoire, prend le sac et sort du Loft.

9 – Impasse. Extérieur. Matin

Marc monte dans sa voiture, démarre, et passe devant le hangar voisin où Jean est en train de travailler sur une grande sculpture. Marc lui fait un petit signe de la main, s’arrête devant le portail, descend de voiture, l’ouvre, remonte dans sa voiture et s’éloigne rapidement, laissant le portail ouvert. Jean interrompt son travail, et, en maugréant, va fermer le portail.

10 – Gare centrale. Intérieur. Jour

Marc est devant les casiers de consigne de la gare. Il range le sac de sport contenant l’argent, et referme soigneusement la porte du casier en regardant autour de lui.

Puis, en se dirigeant vers la sortie, il s’arrête devant le kiosque à journaux. Il prend rapidement tous les quotidiens du matin, paye, et sort de la gare.

11 – Voiture Marc. Intérieur. Jour

Marc, assis dans sa voiture, feuillette nerveusement les journaux. Puis il prend la pile froissée, sort de la voiture, la jette dans une poubelle, remonte dans sa voiture, démarre, et s’éloigne rapidement.

12 – Impasse. Extérieur. Jour

Marc sort les tableaux de sa voiture garée devant son Loft, et les rentre dans son atelier.

Jean le rejoint

JEAN

Ca va, tu es calmé.

MARC

Arrête, tu veux !

Jean hausse les épaules et l’aide à porter ses toiles dans le Loft.

JEAN, ironique

Apparemment, tu n’as pas beaucoup vendu ! Je t’avais dit que tu perdais ton temps et ton argent en allant faire une expo dans une petite galerie de province.

Marc le regarde, hésite un instant avant de répondre.

MARC, agressif

J’ai peut-être perdu mon temps, mais pas mon argent. J’ai rencontré un collectionneur étranger qui est intéressé par mon travail.

JEAN

En tout cas, il n’a rien acheté, à ce que je vois.

MARC

Il doit m’appeler.

JEAN

Ouais, ils disent tous ça.

Jean referme la porte du break, pendant que Marc ferme la porte de son atelier.

MARC

Bon, il faut que j’y aille. Je vais voir ma fille.

Marc monte dans sa voiture et met le moteur en route. Mais avant de partir, il se penche vers Jean

MARC
Ce soir je t’invite au restaurant pour fêter ma rencontre avec ce collectionneur.

Il démarre, et s’éloigne rapidement, laissant Jean perplexe.

13 – Rue Anne-Julie. Extérieur. Fin d’après-midi

Marc gare son break, et se dirige vers l’immeuble où habitent sa femme et sa fille. Passant devant un magasin qui vend des chocolats, il s’arrête, hésite un instant, entre.

14 – Appartement Anne-Julie. Intérieur. Fin d’après-midi

Marc, une énorme boîte de chocolat à la main, entre dans l’appartement et referme la porte. Il se dirige vers le salon d’où proviennent des voix.

Julie, huit ans, est affalée sur un canapé, face à la télévision. Marc s’approche d’elle et l’embrasse.

MARC

Bonjour, ma chérie.

JULIE     

Bonjour Papa !

Julie se lève sur le canapé pour embrasser son père.

JULIE

Je savais pas que tu devais venir aujourd’hui.

Marc lui tend la boîte.

MARC

Tiens, c’est pour toi.

JULIE

C’est quoi ?

MARC

Ouvre, tu verras.

Julie se rassoit, défait le paquet, excitée. Marc s’assoit près d’elle. Julie ouvre la boîte de chocolats.

JULIE

Ouah… mes préférés, tu n’as pas oublié !

Julie met un chocolat dans sa bouche et tend la boîte à son père.

JULIE (la bouche pleine)

Chu en feux un ?

Ils rient tous les deux.

MARC

Non, merci ma chérie.

JULIE

Tu sais, j’ai jamais vu une boîte de chocolat aussi grosse.

Julie pose la boîte sur ses genoux, et regarde la télévision en finissant son chocolat.

Puis,

JULIE

Dis papa, tu connais Amsterdam ?

MARC

Pourquoi tu me demandes ça ?

JULIE (montrant l’écran de télévision)

Le film se passe là-bas. C’est drôlement beau. J’aimerais bien y aller.

MARC

Si tu veux, je t’y emmènerai un jour.

Julie se tourne vers lui, sérieuse.

JULIE

Promis oui-oui ?

MARC

Promis oui-oui !

Marc embrasse sa fille, attendri.

A ce moment, le film que regardait Julie s’achève, immédiatement suivi par un flash d’information. Julie prend la télécommande pour éteindre la télévision.

MARC

Non, laisse, s’il te plaît.

Julie soupire, et reprend un chocolat.

JOURNALISTE

Étonnant hold up, hier soir, dans un centre de recettes du loto. Un homme d’une trentaine d’années s’est présenté…

Anne, jolie femme d’environ trente cinq ans, entre au même moment dans le salon, se dirige rapidement vers Julie, prend la télécommande, éteint la télévision d’un geste brusque et jette la télécommande sur le canapé..

ANNE

Bravo, Marc ! Tu gaves ta fille de chocolats en lui laissant regarder des idioties à la télé…

JULIE

Mais maman, c’étaient pas des idioties, c’étaient les infos.

Marc, sans un regard pour Anne, reprend immédiatement la télécommande et rallume nerveusement la télévision pendant qu’Anne enlève doucement la boîte de chocolats des mains de Julie.

ANNE

Idioties ou pas, c’est l’heure d’aller prendre ton bain pendant que je prépare le dîner.

Le poste de télévision se rallume, mais le présentateur parle maintenant de sport.

Anne, d’un mouvement rageur, s’approche du poste de télévision et l’éteint, pendant Julie se lève, s’éloigne et se retourne avant de sortir de la pièce.

JULIE

Tu restes dîner avec nous, papa ?

MARC

Je… je ne peux pas, ma chérie. Une autre fois.

Julie fait un geste d’impuissance avec ses bras, et sort de la pièce.

Marc se lève et fait face à Anne qui lui montre l’énorme boîte de chocolat

ANNE

C’est quoi ça ?

MARC

Des chocolats.

ANNE

Je vois. Mais pourquoi une boîte de cinq kilos ?

Marc hausse les épaules sans répondre.

ANNE

A quoi tu joues au juste ?

MARC

Je suis désolé.

ANNE, furieuse

Ah non, ne me dis pas encore que tu es désolé. Tu es toujours désolé ! Et moi, tu ne crois pas que je suis désolée ?! Désolée que tu sois parti, désolée pour Julie…

MARC l’interrompant

Julie ? Qu’est-ce qu’elle a Julie, elle va pas bien ?

ANNE

Mais oui, elle va bien Julie ! Mais si tu crois qu’elle ne se pose pas de questions ? … Tu crois qu’elle ne cherche pas à savoir pourquoi son papa nous a quittées ?

MARC

Tu sais bien pourquoi je suis parti.

ANNE

Non, je sais pas. Je ne sais toujours pas. Je ne sais pas ce que tu veux vraiment…

Anne le regarde fixement, attendant une réponse. Mais comme Marc reste silencieux, Anne s’énerve

ANNE

J’en ai marre de tes silences, de tes non-dit, de ta gueule d’enterrement. Exprime-toi, explose, fait quelque chose mais ne reste pas l’œil fixe, comme un chien battu … Et puis, tu n’habites plus ici, mais tu viens quand tu veux, sans prévenir … pour regarder la télévision …

MARC

Mais c’est chez moi.

ANNE

Non, plus tant que tu ne dors pas là. Et du reste, j’aimerais bien que tu me rendes les clefs.

MARC

Mais …

ANNE

Tu n’auras qu’à sonner, comme n’importe quel ami.

MARC

Mais j’aime Julie et… je.. je t’aime… C’est moi que je n’aime pas. J’ai besoin d’être seul quelque temps.

ANNE

Combien de temps ?!

MARC

Le temps de me retrouver. Le temps de retrouver ma peinture. Le temps d’y croire.

ANNE

N’attends pas trop longtemps.

MARC

Qu’est-ce que tu veux dire ?

Anne hausse les épaules, puis murmure, plus pour elle que pour Marc

ANNE

Si au moins tu étais parti pour une femme, je comprendrais … et je pourrai me battre …

Marc la regarde, sans répondre.

ANNE, se reprenant

Ta clef, s’il te plaît.

Marc, à contre cœur, fouille dans sa poche, et, surpris, marque un temps d’arrêt. Puis il sort la liasse de billets qu’il tend à Anne.

MARC

Ma dernière expo a bien marché. Un collectionneur étranger qui croit en moi.

Anne regarde la liasse, puis regarde Marc, incrédule.

Marc pose les billets sur la table.

MARC

Pour Julie et toi. Ce n’est qu’une avance, il a retenu toutes mes toiles.

Anne regarde Marc, perplexe.

ANNE

Tu devrais me le présenter, ce type. J’ai plein de toiles à vendre dans ma galerie.

Ils se regardent tous les deux en silence, puis

MARC
Il faut que j’y aille.

Marc s’approche d’Anne, l’embrasse sur la joue et se dirige vers la porte.

ANNE

Marc, tes clefs, s’il te plaît.

Marc se retourne, désemparé, hésite, puis sort la clef de la maison et la tend à Anne.

Anne prend la clef, ramasse les billets, et tend la liasse à Marc.

ANNE

Tiens, reprends ça. Ce n’est pas d’argent dont on a besoin, Julie et moi.

Marc se retourne, hésite, regarde Anne, reprend sa liasse de billets, mais la lui retend immédiatement

MARC
S’il te plaît.

Anne hésite et reprend les billets.

Marc lui caresse tendrement la joue puis s’en va.

15 – Gare centrale. Intérieur. Fin de journée.

Marc feuillette les journaux du kiosque de la gare centrale à la recherche d’informations sur le vol du loto. En reposant un journal, il remarque un homme qui le regarde faire. Marc, négligemment, prend un journal au hasard, l’achète et sort.

Il traverse la gare et jette le journal dans une poubelle avant de se diriger vers les casiers de consigne. Il sort le sac de sport de la consigne, va s’enfermer dans les toilettes, prend deux liasses de billets dans le sac, puis retourne mettre le sac dans un autre casier de la consigne.

En se retournant il remarque l’homme qu’il avait déjà vu au kiosque à journaux. Marc le regarde, hésite, puis se dirige vers le quai, entre dans le café, fait le tour des clients, semblant chercher quelqu’un, puis ressort, hésite, regarde la publicité de la Brasserie Georges, et retourne négligemment vers la consigne.

Comme l’homme n’est plus là, Marc se précipite vers le casier où il a rangé son sac, le reprend et le range dans un autre casier. Puis il sort précipitamment de la gare, regardant nerveusement autour de lui s’il ne voit plus l’homme.

16 – Gare centrale. Extérieur. Fin de journée.

Marc se dirige d’un pas rapide vers sa voiture. Au moment où il sort sa clef pour ouvrir la portière, un policier s’approche de lui, un carnet à la main.

Marc, tétanisé, le regarde

LE POLICIER

C’est à vous cette voiture ?

MARC

Non ! … Enfin, oui.

LE  POLICIER

Vous êtes garé sur les clous.

MARC

Oui, je sais … Mais il n’y avait pas de place et je ne pensais pas rester si longtemps …

Le policier le regarde, hoche la tête

LE POLICIER

Vous dites tous ça … Bon, ça va pour cette fois.

Et, tournant le dos à Marc, il range son carnet de contravention et s’éloigne.

Marc, ne sachant que penser, le regarde partir, fixement.

Le policier se retourne alors, regarde Marc toujours immobile

LE POLICIER

Vous partez n’est-ce pas ?

MARC

Oui, bien sûr … bien sûr.

Il entre dans sa voiture, et démarre sur les chapeaux de roue en faisant crisser ses pneus.

Le policier se retourne à nouveau et le regarde partir en hochant la tête.

Marc, tout en conduisant, allume la radio et cherche nerveusement la chaîne des infos. Trop occupé à chercher cette station, il manque rentrer dans une voiture et freine en catastrophe.

Marc s’arrête alors en double file, et tourne nerveusement le bouton de sa radio à la recherche de la station des infos. Mais le présentateur ne parle que de sport.

Marc furieux, arrête la radio, et repart.

17 – Impasse. Extérieur. Fin de journée.

Marc entre dans l’impasse et remarque immédiatement Jean, qui, devant son atelier, tape comme un fou sur une grande plaque de fer.

MARC

C’est une nouvelle sculpture

JEAN
Non, un défouloir.

Marc le regarde sans comprendre

JEAN

Je suis passé au bistrot pour faire mon loto, et j’ai appris qu’un salaud a volé une partie de la recette …

Marc blêmit et le regarde sans rien dire

JEAN

Tu te rends compte … Plus d’un demi millions d’Euros à ce qui parait ….

MARC, sans y croire,

L’argent du loto, c’est de l’argent fictif, il n’appartient à personne …

JEAN

Si, à moi !

Mais se rendant compte de ce qu’il dit, il enchaîne

JEAN

Enfin, c’est de l’argent en moins sur ce que je pourrais gagner …

MARC, tendu

Il est mort !

JEAN, surpris

Pourquoi tu dis ça ?

Et, sans attendre la réponse, il enchaîne

JEAN

Au fait, tu m’invites toujours au restaurant ?

MARC

Bien sûr.

JEAN
A côté, ils ont du couscous en plat du jour.

MARC

Non. J’ai beaucoup mieux à te proposer.

18 – Brasserie Georges. Intérieur. Soir.

Jean et Marc sont installés à une table du restaurant célèbre. Jean est manifestement heureux et ému. Il laisse ses mains errer sur la table, touchant délicatement tous les objets.

JEAN

Si tu savais comme ça me fait plaisir d’être là.

MARC

Oui, je sais. Depuis le temps que tu me parles des dîners que t’offrait ton oncle dans ce restaurant.

JEAN

Que veux-tu. A chacun ses petites madeleines.

Le garçon arrive à ce moment avec une bouteille de champagne et deux coupes.

Pendant qu’il ouvre la bouteille de champagne et remplit les coupes, Jean regarde Marc attentivement

JEAN
Ton collectionneur, c’est vraiment vrai ?

Marc hoche la tête en souriant.

Jean prend sa coupe, la lève

JEAN

Alors, à ton succès.

Marc trinque avec lui. Ils boivent.

JEAN
Et Anne, qu’est-ce qu’elle dit de ça ?

MARC

Je ne pense pas qu’elle croit que c’est vrai.

JEAN

Je la comprends un peu. Tu n’exprimes aucun enthousiasme, aucune joie …. Réagis, explose …. Tiens pense au défouloir dont je te parlais tout à l’heure. Rien de tel. Tu cries, tu hurles, tu tapes sur les objets, sur les murs … Enfin quoi, montre-le ton bonheur …

MARC

Tu as raison … Mais c’est pas dans ma nature.

JEAN

C’est pas une réponse ! Alors, qu’est-ce que tu comptes faire ?

MARC
Je ne sais pas. Tout ça est tellement nouveau.

JEAN
Justement. Ne laisse pas passer ta chance.

MARC

Qu’est-ce que tu veux dire ?

JEAN

Il faut qu’on parle de toi, que tu exposes dans le monde entier, que tu t’affiches avec des mannequins …

MARC

Et, doucement. J’aime Anne.

JEAN
Elle le sait ?

MARC

C’est ma femme.

JEAN

Tu devrais peut-être le lui rappeler plus souvent.

Marc le regarde, sans répondre.

Jean les ressert de champagne, boit une gorgée, et regarde Marc en souriant

JEAN

Tu sais ce que me disait mon oncle … Que si on voulait être célèbre, il fallait se montrer dans tous les lieux où on rencontre des milliardaires … Et il rêvait de casinos, de salles de jeux …

MARC

Tu y es déjà allé ?

JEAN

Bien sûr. Mais j’ai tout perdu, mes rêves, mes espoirs et mes économies de l’époque.

Marc le regarde, pensif.

19 – Casino. Extérieur. Nuit.

Marc gare sa voiture devant le casino. Il sort, ainsi que Jean.

MARC
Allez, on y va ?

JEAN
Tu es sûr … ?

MARC

Tu en meurs d’envie, non ?

Jean le regarde avec un grand sourire d’enfant.

20 – Casino. Intérieur. Nuit.

Ils entrent dans le casino et Jean se dirige directement vers les machines à sous.

Marc le suit, amusé.

Jean s’installe devant une machine, met une pièce de un euro, tire la manette, mais rien ne se passe. Il recommence, encore et encore, sans succès, mais avec de plus en plus de passion.

Marc sort alors quelques pièces de sa poche et les tend à Jean

MARC

Tiens. Joue pour moi.

JEAN

Tu ne joues pas ?

MARC

Je vais faire de la monnaie et je reviens.

Marc se dirige vers la caisse

MARC

Je voudrais de la monnaie s’il vous plaît.

Il sort un billet de 50 Euros.

MARC

En pièces de 1 Euro s’il vous plaît.

Le caissier prend le billet et lui donne la monnaie. Pendant que Marc ramasse les pièces, un couple arrive à la caisse, et l’homme pose une liasse de billets devant le caissier

L’HOMME
Des jetons de 50 pour la table de roulette, s’il vous plaît.

Marc regarde le caissier donner des jetons, puis, dès qu’ils sont partis, demande à son tour

MARC

La roulette se trouve où ?

LE CAISSIER

Dans la pièce du fond.

MARC

Donnez-moi des jetons aussi, s’il vous plaît … de 50.

Il sort alors une liasse de 1000 Euros et la tend au caissier, qui, sans broncher, lui donne ses jetons.

Marc les prend, puis rejoint Jean et lui donne les pièces de 1 Euro.

JEAN, excité

J’ai gagné cinq Euros … Tu vois c’est un début.

Et voyant la poignée de pièces que lui tend Marc il demande

JEAN

C’est quoi ?

MARC

Des pièces, pour que tu gagnes pour moi.

JEAN

Et  toi ?

MARC

Je vais faire un tour, pour regarder.

Sans se poser de questions, Jean prend les pièces et recommence à jouer avec passion.

Marc s’éloigne et entre dans la salle des tables de roulette.

Il regarde le couple poser des jetons sur une table, perdre, recommencer …

Marc sort alors ses jetons et commence lui aussi à jouer. Mais il perd toutes ses mises les unes après les autres.

Jean arrive à côté de lui

JEAN

Mais qu’est-ce que tu fais là ? Je te cherchais partout.

Et avisant les trois jetons de 50 que Marc a encore devant lui,

JEAN
Ouah, mais tu as gagné. Arrête, maintenant, il faut partir.

Il prend les trois jetons de Marc et l’entraîne vers la caisse.

JEAN

150 Euros, bravo. Moi, j’ai tout perdu, et, encore une fois, j’ai pas su m’arrêter. Mais toi, apparemment, tu as gagné. Tu as misé combien au départ ? 10 ? 20 ? … En tous les cas, c’est le résultat qui compte. Tu as gagné 150 Euros. Comme ça tu as remboursé notre dîner au train bleu.

Arrivé devant la caisse, il tend les jetons au caissier

JEAN
Le remboursement, s’il vous plaît.

Et se tournant vers Marc,

JEAN

Mon oncle disait toujours qu’il fallait savoir s’arrêter à temps, et que les amis étaient là pour ça… Et bien tu vois, il avait raison !

Marc, amusé, le regarde sans répondre.

21 – Loft de Marc. Intérieur. Jour.

Marc est debout dans le coin cuisine en train de boire une tasse de café tout en écoutant les infos à la radio. Jean entre sans frapper, s’approche du poste de radio et l’arrête.

JEAN

Depuis quand tu écoutes ces conneries ?

Marc va répondre, mais déjà Jean enchaîne

JEAN

Tu es occupé ce matin ?

MARC

Ca dépend pourquoi ?

JEAN
Tu pourrais m’accompagner au garage ?

MARC

Tu as un problème ?

JEAN

Ma moto est foutue, et on m’en propose une nouvelle. Mais je dois me décider très vite, ils peuvent pas me la réserver plus longtemps.

22 – Garage motos. Intérieur. Jour

Marc et Jean entrent dans le garage.

MARC

Qu’est-ce que tu vas faire de ta vieille moto, tu as pu la revendre ?

JEAN

Même à la casse, ils en veulent pas. Je vais en faire une sculpture.

Marc sourit et suit Jean qui s’arrête devant une moto splendide.

Marc le laisse parler avec le garagiste et regarde les autres modèles.

Jean le rejoint.

JEAN

Dis-moi, ton collectionneur, c’est bien vrai ?

MARC

Pourquoi tu me demandes encore ça ?

JEAN

Il me manque deux mille Euros. Tu pourrais me les prêter ?

MARC

Deux mille ? Et comment tu vas me rembourser ?

JEAN

En jouant au loto !

Marc le regarde, puis éclate de rire et sort de sa poche une liasse de billets.

Jean les prend et se tourne vers le garagiste.

JEAN

Si je paye en liquide, vous me faites un prix ?

23 – Impasse. Extérieur. Jour

Marc se gare dans la rue, entre dans l’impasse et rejoint Jean qui admire sa nouvelle moto, garée devant son atelier.

JEAN

J’y crois pas ! J’y crois vraiment pas ! Marc, je sais pas comment te remercier !

MARC

En me remboursant mes deux mille Euros…

JEAN

Ton collectionneur, il aime pas la sculpture ?

MARC

Je lui demanderai. En attendant, il te reste le loto.

JEAN

Remarque pour être sûr de gagner, je ferais mieux de voler la recette, comme l’autre.

Marc hoche la tête, puis se dirige vers son atelier.

Jean le rappelle en lui montrant sa nouvelle moto.

JEAN

Tu viens, je te fais faire un tour !

MARC (sans se retourner)

Pas maintenant, j’ai des coups de fil à passer.

Marc entre dans son atelier, pendant que Jean met le moteur en marche et, donnant de fréquents coups d’accélérateur, écoute avec ravissement le bruit du moteur de sa moto.

24 – Loft. Intérieur. Jour

Marc regarde ses toiles qu’il n’a toujours pas déballées depuis son retour. Il en prend une, hésite, la repose, en prend une autre et la repose à nouveau.

Il ouvre son frigidaire, mais celui-ci est vide. Il le referme d’un geste brusque.

25 – Rue Marc. Extérieur. Jour

Marc sort de l’impasse, se dirige vers le café voisin et entre.

26 – Café. Intérieur. Jour

Le café est presque vide à cette heure. Marc s’installe au comptoir.

PATRON

Salut l’artiste. Une bière, comme d’habitude ?

MARC

Oui, s’il te plaît.

Le patron prépare la pression tout en parlant avec Marc.

PATRON

Ça fait un bail qu’on t’a pas vu. J’espère que tu vas pas nous lâcher maintenant qu’un collectionneur s’intéresse à toi.

MARC

Les nouvelles vont vite, à ce que je vois.

PATRON

Radio-comptoir, tu connais !

MARC

Ouais, je sais. Avec Jean dans le rôle du journaliste !…

PATRON

En tous cas, il est drôlement heureux de la chance que tu as. Lui, il compte plus sur le loto que sur sa sculpture pour faire fortune !…

MARC

Il en a de la chance, au loto ?

PATRON (sourit)

Pas vraiment. Mais il continue à rêver, comme tout le monde.

Marc hoche la tête

PATRON

Jean t’a raconté, pour le vol de la recette ?

MARC

Oui. Il paraît que le voleur s’est tué dans un accident.

LE PATRON

Qui t’a dit ça ?

Marc, blême, ne répond pas.

PATRON

Ils ont retrouvé la voiture qui a servi au voleur au fond d’un ravin. Mais le voleur avait disparu avec l’argent. Il paraît que c’est un coup de fil anonyme qui a prévenu la police.

Marc, hébété, l’œil fixe, regarde le patron qui continue

PATRON

Mais ils savent pas si ce coup de fil vient d’un témoin ou d’un complice.

MARC, paniqué

Comment tu sais tout ça ?

PATRON

Le loto, c’est un peu moi, puisque je vends des tickets. C’est les responsables qui m’ont raconté tout ça.

MARC

Et que fait la police ?

PATRON
Pas grand chose, comme d’habitude. Ils attendent.

MARC, se forçant au calme

Si je comprends bien, on peut voler des fortunes, et tout le monde s’en fout.

PATRON

Il faut dire qu’on entend tellement d’horreur tous les jours … Mais, tu sais, toujours d’après mes informations, la police pense que ce genre de hold up finit toujours par des règlements de compte.

MARC

Des quoi ?

PATRON

Ben oui ! Si c’est un complice, les bandits vont finir par s’entretuer pour le magot. Et si c’est un témoin qui a piqué l’argent, il les rappellera dés qu’il se sentira traqué par les voleurs.

Et devant le regard affolé de Marc, il enchaîne en souriant

PATRON

Et oui, il faut choisir. Les emmerdes ou le rêve. Et du fric volé, c’est toujours des emmerdes.

Marc boit sa bière d’un trait, manifestement paniqué.

PATRON

Au fait, tu veux pas tenter ta chance ?

Marc le regarde sans comprendre. Le patron prend alors un ticket.

PATRON

Je te fais un flash ?

27 – Rue Marc. Extérieur. Jour.

Marc sort du café, frissonne, remonte le col de sa veste et se dirige d’un pas rapide vers son Loft. Il a presque atteint la grille de l’impasse quand une main s’abat sur son épaule. Marc, terrorisé, fait un bond en arrière et pousse un cri.

MARC

Haaaa !

Il se retourne et se trouve face à Jean, qui porte un sac à provisions.

JEAN

Ben mon vieux, j’te fais de l’effet !…

MARC

Ça va pas, non ? Qu’est-ce qui te prend ?

JEAN

Hé, cool, tout va bien ! C’est pas parce que tu deviens riche que je vais t’enlever ! En fait, si. Regarde…

Jean ouvre son sac à provisions.

JEAN

Lapin, petits légumes, moutarde forte. Tu te charges du vin, OK ? Lisa vient dîner ce soir, on t’attend vers neuf heures.

28. Marchand de vin. Intérieur. Jour.

Marc choisit deux très bonnes bouteilles de vin, et se dirige vers la caisse. Le vendeur prend les bouteilles et regarde Marc, surpris

VENDEUR

Ben dis donc, tu te prives de rien aujourd’hui.

Marc le regarde, sans comprendre

VENDEUR

130 Euros. T’es sûr que tu t’es pas trompé ?

MARC, nerveusement

Excuse-moi.

Et rapidement il reprend les bouteilles, va les remettre sur l’étagère et prend deux autres bouteilles à bas prix.

29 – Loft. Intérieur. Jour

Marc, l’œil fixe, immobile, est assis dans un fauteuil.

Puis il se lève, prend son téléphone, hésite à faire un numéro et raccroche nerveusement.

30 – Impasse. Extérieur. Soir.

Jean sort de son atelier, traverse l’impasse pour aller frapper à la porte du loft de Jean en criant

JEAN

Qu’est-ce que tu fous ? On a soif !

31 – Loft. Intérieur. Nuit.

Marc, toujours immobile dans son fauteuil, sursaute et, après une seconde, crie à son tour

MARC
J’arrive.

32 – Atelier Jean. Intérieur. Soir

Marc entre dans l’atelier de Jean, les deux bouteilles de vin à la main.

Jean est dans le coin cuisine, en train de touiller dans une marmite.

Lisa, ravissante jeune femme d’environ 25 ans, est assise dans un fauteuil, mimant et fredonnant en silence la chanson qui s’élève d’un vieil appareil hi-fi posé à même le sol. Même si le son n’est pas très bon, la voix de la chanteuse, pleine, chaleureuse, emplit la pièce.

Marc, immobile, écoute la fin de la chanson.

Puis,

MARC

C’est superbe… Ta dernière création, Lisa ?

Lisa se retourne, sourit, se lève et s’approche de lui

LISA

Salut, Marc.

Ils s’embrassent, puis Lisa continue sa phrase.

LISA

C’est juste une maquette, le mixage n’est pas fait. On a enregistré cette après-midi dans la cave de Greg, le guitariste.

MARC

C’est quand même superbe…

JEAN

Eh Marc, maintenant que le vin est là, tu nous sers à boire.

Marc pose ses bouteilles sur la table, prend un tire bouchon, ouvre les bouteilles et sert les verres.

MARC, s’adressant à Jean

Tu veux que je t’apporte ton verre ?

JEAN

Pas la peine, j’arrive.

Marc prend deux verres, et rejoint Lisa devant la chaîne hi-fi. Il lui tend un verre, et lève le sien pour trinquer. Lisa répond à son geste.

MARC

Tu as une voix magnifique, des textes et des musiques splendides, qu’est-ce qui te manque pour y arriver ?

JEAN

Du fric, comme tout le monde !

MARC (à Lisa)

Combien il te faudrait ?

LISA

Avec 50 000 balles, enfin je veux dire aux environs de … 1000… non …10 000 Euros … décidément, pour les grosses sommes, j’arrive pas à me faire à cette monnaie … Donc avec cet argent je pourrai louer un vrai studio, et payer des musiciens. Là, j’aurais enfin quelque chose de bien à faire écouter aux maisons de disques.

Jean, son verre à la main, les rejoint à ce moment

JEAN

Ils signeraient tout de suite, ça c’est sûr ! (à Marc) Ton collectionneur, il est pas amateur de rock, par hasard ?

MARC, agressif

Je fais ma demande comment ? Avant ou après ta sculpture… Le père ou la fille ?

Jean, vexé, hoche la tête, sans répondre.

LISA

Pourquoi tu es aussi agressif ?

MARC

Excuse-moi, mais en ce moment je ne sais plus où j’en suis.

LISA

Pourtant tout est simple. Ça commence à bien marcher pour toi, et tu vas avoir plein de fric.

MARC

Justement. Cet argent, j’ai du mal à … comment dire … C’est comme de l’argent virtuel.

LISA

Qu’est-ce que tu veux dire ?

MARC

Je sais pas …. Cet argent … J’ai l’impression, de l’avoir volé.

LISA

Mais c’est le prix de ton travail.

MARC, se reprenant

Bien sûr … Mais comme c’est la première fois que l’on achète mon travail, je suis pas habitué.

JEAN

C’est pas gentil pour Anne ce que tu dis là.

MARC

Mais non ! Quand Anne vend mes toiles, c’est à sa galerie qu’on achète, pas à moi.

JEAN

En tout les cas, si c’est à moi qu’on proposait cet argent, crois-moi, je ne me poserai pas de problème. Je le dépenserai sans aucun scrupule.

Jean lève alors son verre

JEAN

Allez, buvons au lieu de dire des bêtises.

Et tous trois trinquent et boivent.

Puis,

JEAN

Au fait, tu te souviens ce que je t’ai dit sur le fait de te montrer dans les lieux à la mode. Lisa a rendez-vous dans une boîte vers minuit, tu devrais l’accompagner.

LISA

Arrête papa, je t’ai dit que j’irai en taxi.

Marc, sans comprendre, regarde Lisa, puis Jean, puis éclate de rire

MARC

Bravo. Tu veux que je conduise ta fille à son rendez-vous et au lieu de me le demander simplement, tu me parles de soi-disant promotion …

JEAN

Non ! Tu rends service à Lisa, et elle te rend service en t’amenant dans un lieu à la mode.

Marc, amusé, trinque avec Jean en souriant et se tournant vers Lisa

MARC

Tu crois qu’on le prend comme attaché de presse ?

Lisa répond à sourire et lève son verre en hochant la tête.

33 – Boîte de nuit. Intérieur. Nuit.

Marc et Lisa sont debouts devant le bar d’une boîte de nuit où de nombreux clients dansent sur une musique endiablée jouée par un petit orchestre situé sur une estrade dans un coin de la pièce.

Marc regarde les musiciens

MARC

C’est tes copains ?

LISA

Seulement celui qui joue de la batterie.

Marc les regarde jouer quelques secondes, puis,

MARC

Il se débrouille bien.

LISA

Il remplace un musicien malade. Si ça marche pour lui ce soir, il a une chance d’être engagé.

MARC

Si je comprends bien, la musique c’est aussi compliqué que la peinture et la sculpture.

Lisa hoche la tête, en rythme avec la musique, sans répondre.
Puis

LISA

On danse ?

MARC, surpris

Je ne suis pas un bon danseur.

D’un signe de tête, Lisa lui montre les couples qui dansent

LISA

Eux non plus.

Marc hoche la tête en souriant et ils commencent à danser, mais Marc n’est pas en rythme, dansant d’une façon démodée.

LISA

Regarde, je vais te montrer.

Et elle montre à Marc comment danser, l’entraînant dans des contorsions sans fin.
Progressivement Marc se laisse entraîner par la musique et danse avec Lisa comme un fou.

34 – Boîte de nuit. Plus tard. Intérieur. Nuit.

Lisa, Marc et le musicien sont installés à une table dans une salle pratiquement déserte.

MUSICIEN, excité

Je crois que ça va marcher. Ils m’ont demandé de revenir demain.

LISA, enthousiaste

C’est superbe. Je suis ravie pour toi.

Marc finit son verre de champagne, et

MARC

Allez, encore une bouteille. C’est ma tournée.

LISA

Arrête, on a trop bu.

MARC

Et alors, pour une fois que je m’amuse.

Marc fait signe au serveur, et montrant la bouteille de champagne

MARC

Une autre.

Le serveur le regarde hésitant, puis s’approche de Lisa

LE SERVEUR

Il a du fric ton copain.

LISA

Laisse, on s’en va.

Mais Marc, furieux, sort de sa poche une liasse de billets et la montre au serveur

MARC, agressif

Oui, j’ai du fric, petit con. Je suis un artiste qui gagne sa vie, moi !

Mais Lisa se lève, et prenant Marc par le bras l’oblige à se lever.

LISA

Allez viens. De toutes les façons il faut qu’ils ferment, il est tard.

Marc se lève et regarde Lisa

MARC
C’est vrai, je suis un peu saoûl, mais je m’amusais bien. Ça fait longtemps que je ne m’étais plus amusé comme ça. … Oui, attends, attends … La dernière fois que j’étais heureux comme ça, c’était quand j’étais complètement fauché mais j’étais heureux d’une toile que je venais de peindre … et maintenant c’est parce que j’ai du fric. Eh oui, c’est ça, vieillir !

Et il se laisse entraîner par Lisa, posant au passage quelques billets sur le comptoir en disant

MARC

Pour le service !

35 – Impasse. Extérieur. Jour

Marc sort de son Loft avec des toiles qu’il entasse à l’arrière de sa voiture garée devant sa porte.

Jean le rejoint.

JEAN

Qu’est-ce que tu fais ?

MARC

Mon collectionneur vient de m’appeler. Je dois lui livrer toutes mes toiles.

JEAN

Tu veux que je t’accompagne ?

MARC

Non, c’est trop loin… Je pars… je pars pour … Amsterdam. Je serai peut-être absent un jour ou deux.

Jean hoche la tête et aide Marc à ranger ses toiles dans la voiture.

Puis,

JEAN

Lisa m’a dit que tu étais déchaîné hier soir. Elle ne te reconnaissait pas.

MARC

Je suis tes conseils, c’est tout.

Il monte dans la voiture, lui fait un petit signe et démarre, laissant Jean rêveur.

36 – Décharge publique. Extérieur. Jour

Marc s’arrête devant une décharge publique, ouvre son coffre, prend une toile, mais hésite au moment de la jeter dans la décharge. Il remet la toile dans le coffre, et repart.

37 – Autoroute. Extérieur. Jour

Marc roule sur une autoroute, en suivant les panneaux indiquant la direction d’Amsterdam.

38 – Amsterdam. Extérieur. Jour

Marc traverse Amsterdam, et se dirige vers le port.

39 – Port d’Amsterdam. extérieur. Jour

Marc se gare sur le port d’Amsterdam, et entre dans un bureau.

40 – Bureau. Intérieur. Jour

Marc s’approche du bureau de la secrétaire.

MARC

Bonjour. Je voudrais louer un petit hangar pour entreposer de la marchandise.

41 – Port d’Amsterdam. Hangar. Intérieur. Jour

Marc range ses toiles dans un hangar.

42 – Amsterdam. Extérieur. Soir

Marc se promène dans les rues d’Amsterdam, marchant au hasard.

Il s’arrête devant une galerie d’art, regarde les peintures exposées en vitrine, hésite à entrer, mais hausse les épaules et reprend sa promenade dans les rues.

43 – Hôtel-restaurant. Intérieur. Nuit

Marc dîne seul dans la salle de restaurant d’un hôtel.

Il finit son verre de vin, se lève et monte dans sa chambre.

44 – Chambre. Intérieur. Nuit

Marc regarde par la fenêtre le canal où se reflètent les lumières de la rue.

Il reste là, rêveur.

45 – Amsterdam. Extérieur. Jour

Marc sort de l’hôtel et marche dans les rues. Il repasse devant la galerie d’art, s’arrête, et entre.

46 – Galerie. Intérieur. Jour

Marc regarde distraitement quelques toiles exposées et s’approche de la jeune fille qui tient la galerie. Elle se lève.

JEUNE FILLE

Bonjour, monsieur. Etes-vous intéressé par une toile en particulier ?

MARC

Bonjour. A vrai dire, je…

JEUNE FILLE (l’interrompant)

Oh, vous êtes français !

MARC

Euh… oui, et je suis peintre également.

JEUNE FILLE (perd son sourire)

Ah… je suis désolée, mais le propriétaire de la galerie n’est pas là.

MARC

Vous savez quand je pourrai venir lui montrer mon travail ?

JEUNE FILLE

Il est absent pour deux jours. Je ne voudrais pas vous décourager, mais je ne crois pas qu’il soit intéressé par de nouveaux talents.

MARC (agressif)

Il ne veut même pas voir ce que je fais ?

JEUNE FILLE

Je n’ai pas dit ça, mais notre galerie est une des plus connue d’Amsterdam et nous sommes très sollicités…  Je suis…

MARC (l’interrompant)

Vous êtes vraiment désolée, je sais.

Et il sort rapidement de la galerie.

47 – Amsterdam. Rues. Extérieur. Jour

Marc marche à grands pas dans les rues, puis brusquement il s’arrête devant un magasin de matériel hi-fi et regarde la vitrine.

48 – Immeuble Anne-Julie. Extérieur. Fin de matinée

Marc se gare devant l’immeuble d’Anne et de Julie, sort de sa voiture, prend un gros paquet dans le coffre et se dirige vers l’immeuble.

Il s’avance pour sonner à l’interphone de la porte d’entrée de l’immeuble, mais, encombré par son paquet, n’y arrive pas. Il entend une voix derrière lui.

ANNE

Laisse, je vais t’ouvrir.

Anne est en tenue de jogging, un bandeau dans les cheveux. Elle revient manifestement d’une séance de sport.

Elle regarde Marc et ouvre la porte de l’immeuble.

ANNE

J’espère que c’est pas encore des chocolats !…

Anne tient la porte pour laisser entrer Marc.

ANNE

Au fait, ma mère est là …

MARC

Ah …

ANNE
Elle voudrait que je divorce.

Marc la regarde, surpris.

MARC

Mais pourquoi ?

ANNE, agressive

Tu veux vraiment le savoir ?

49 – Appartement Anne. Intérieur. Fin de matinée

Marc entre dans l’appartement derrière Anne.

Julie, affalée dans un fauteuil en train de lire, pose son livre et court se jeter dans les bras de Marc, qui pose son paquet par terre.

JULIE

Papa !

Marc prend Julie dans ses bras et l’embrasse. Puis il la repose par terre, devant le paquet.

MARC

Tiens, ouvre-le, c’est pour toi.

JULIE (excitée)

Pour moi ?!

Pendant que Julie défait fébrilement son paquet, la mère d’Anne sort de la cuisine.

MÈRE D’ANNE, sèchement

Bonjour, Marc.

Marc s’approche de sa belle-mère et l’embrasse.

MARC

Bonjour belle maman. Ça fait plaisir de vous voir.

Mais ils sont interrompus par les cris de joie de Julie.

JULIE

Ouah ! Une chaîne hi-fi !…

Elle se jette dans les bras de son père qui la fait tourner en la serrant contre lui. Julie éclate de rire.

Anne et sa mère contemplent la scène, muettes.

MÈRE D’ANNE

C’est en quel honneur ?

MARC

Pour rien. Comme ça.

MÈRE D’ANNE

Ce n’est pas un service à lui rendre.

MARC

Je sais. Mais je sais aussi toutes les fois où je n’ai pas pu la gâter comme je le voulais.

MÈRE D’ANNE

Et maintenant tu peux ?

ANNE

Maman, s’il te plaît !

MARC

Ma dernière exposition a été un succès. J’ai vendu toutes mes toiles.

JULIE

Mon papa est le plus grand peintre du monde !

Marc regarde Julie, attendri.

MÈRE D’ANNE

Tu devrais suivre mon conseil, Marc. Place bien cet argent au lieu de le jeter par les fenêtres.

MARC

Je vois que vous appréciez toujours autant ma peinture !…

La mère d’Anne lui jette un regard noir, prend son manteau et le met.

MERE D’ANNE

Bon, il faut que je parte.

Et elle se dirige vers la porte, accompagnée par sa fille, pendant que Marc s’approche de Julie pour l’aider à arranger sa chaîne hi fi.

50 – Restaurant. Intérieur. Jour

Marc et Anne ont fini de manger, et regardent, attendris, Julie finir de se régaler d’une énorme glace.

Puis, se tournant vers son père,

JULIE

J’aime quand tu vends tes peintures.

MARC

Oui, mais maintenant, il faut que j’en peigne d’autres.

JULIE

Dis, papa, si tu deviens vraiment célèbre, il faudra que tu voyages beaucoup. Tu m’emmèneras avec toi ?

MARC

Bien sûr, ma chérie. Chaque fois que ce sera possible.

JULIE

Promis oui-oui ?

MARC

Promis oui-oui.

ANNE

A propos de ton collectionneur, où l’as-tu rencontré ?

MARC

A ma dernière expo, près d’Etretat.

ANNE

Il est du coin ?

MARC

Non… il est… il est libanais.

ANNE

Et qu’est-ce qu’il fait dans la vie ?

MARC

Euh… je crois qu’il travaille dans… dans les diamants.

ANNE

Dans les diamants ! On vend des diamants en Normandie ?

MARC

C’est un grand amateur d’art. Il fait toutes les galeries pour chercher de nouveaux talents. Dès qu’il aime, il achète. C’est une sorte de … de mécène.

ANNE

J’ignorais que ça existait encore. Ça fait dix ans que j’ai une galerie, j’en ai jamais vu un !

MARC

Tu sais, j’ai dit mécène, mais c’est plutôt un spéculateur. Il parie sur les artistes, en quelque sorte.

ANNE

Si je comprends bien, il t’a tout acheté, mais si ta côte ne monte pas très vite, il te laissera tomber. C’est ça ?

MARC

Euh… oui, à peu près.

Le serveur arrive à ce moment avec l’addition.

Anne tend la main pour prendre l’addition, mais Marc la devance.

Anne le regarde, surprise.

Marc hoche la tête pour lui faire comprendre qu’il va payer.
Anne hausse les épaules et regarde Marc sortir des billets de sa poche et payer.

51 – Rue Immeuble Anne. Intérieur. Soir.

Marc regarde sa fille lui faire un dernier geste d’au revoir puis entrer dans l’immeuble avec sa mère.

Il monte dans sa voiture, puis sort les billets qui lui restent. Il fait la grimace en constatant qui lui reste peu d’argent.

52 – Gare centrale. Intérieur. Soir.

Marc arrive devant les casiers de la consigne de la gare. Il s’immobilise en voyant deux policiers patrouiller, en regardant attentivement les personnes présentes et vérifiant la bonne fermeture des casiers.

Marc, tendu, traverse la salle sans s’arrêter, va se poster devant le tableau des horaires des trains, regarde sa montre, puis va s’asseoir sur un banc, faisant semblant d’attendre un train.

Dès que les policiers sont partis, Marc se lève, traverse lentement la salle des consignes, revient sur ses pas, ouvre son casier, prend le sac et sort rapidement de la gare.

53 – Loft. Intérieur. Soir

Marc pose le sac sur une table, et fait rapidement le tour de son Loft à la recherche d’une cachette sûre. Mais aucun endroit ne semble valable. Finalement, il pose son sac contre un mur et entasse négligemment des toiles blanches devant.

Puis il installe un fauteuil devant les toiles, s’assied, et reste là, immobile, pensif.

Puis brusquement il se lève et sort rapidement de son Loft.

54 – Impasse. Extérieur. Soir

Marc se dirige vers l’atelier de Jean.

Il entre sans frapper.

55 – Atelier Jean. Intérieur. Soir

Dans l’atelier, Marc fait le tour des sculptures entassées les unes contre les autres, les regardant, les déplaçant pour mieux les voir.

JEAN (off)

C’est quoi, ce raffut ?

La tête de Jean, sortant de sa douche, trempé, apparaît en haut de la mezzanine.

JEAN

Marc… mais qu’est-ce que tu fais ?

MARC

Mon collectionneur vient de m’appeler. Je lui ai parlé de toi, et il m’a demandé de choisir une de tes sculptures et de la lui apporter.

JEAN

T’es un frère !

Une serviette de bain enroulée autour de ses reins, il dévale l’escalier en colimaçon, se précipite sur une sculpture et la montre à Marc.

JEAN

Tiens, prends celle-là. C’est une de mes meilleures. Ton mec, il pourra se rendre compte de mon travail, et il m’en prendra d’autres !

MARC

Non, trop petite, et trop fragile.

JEAN

Mais qu’est-ce que tu racontes. Tu m’as toujours dit que c’était une de celles que tu préférais.

MARC

C’est vrai … mais mon collectionneur cherche une sculpture plus grande, plus large, je sais pas moi… à peu près comme ça.

Marc montre avec ses bras une dimension qui correspond à la taille de son sac de sport.

Jean le regarde, effondré.

JEAN

T’es sûr que c’est une sculpture qu’il cherche, pas un paquet cadeau ?!

MARC

Il cherche une sculpture à mettre dans son jardin, sur un socle. Il veut quelque chose d’assez grand.

JEAN

OK, je comprends mieux…

MARC

Tu sais, en fait, je pensais à cette sculpture… comment tu l’appelles déjà… ah oui, la “femme coffre fort”…

JEAN

Mais c’est pas une sculpture, c’est un gag !

MARC

Je sais. Mais je suis sûr que l’idée lui plaira.

En râlant, Jean sort une sculpture entassée sous les autres. Il s’agit d’un buste de femme enceinte, très caricatural.

MARC

Voilà, c’est ça ! Au fait, le mécanisme d’ouverture marche toujours ?

JEAN (à contre cœur)

Oui, mais…

MARC

Montre moi.

Jean prend la sculpture, appuie sur les deux seins, puis fait coulisser le ventre qui s’ouvre, laissant apparaître une grande cavité parfaitement lisse.

MARC (enthousiaste)

C’est ça, c’est exactement ça !

Mais voyant la tête catastrophée de Jean, il enchaîne

MARC

Tu sais, les collectionneurs, ça a des lubies… Mais ça a aussi du fric.

Jean le regarde, hausse les épaules.

JEAN

OK. Je la nettoie et j’arrange la patine. Ce sera prêt dans la journée.

MARC

Très bien. Je partirai demain.

56 – Loft. Intérieur. Jour

Marc range avec précaution les liasses de billets de banque dans des chaussettes, faisant ainsi plein de petits paquets.

57 – Impasse. Extérieur. Jour

Marc et Jean rangent la sculpture à l’intérieur du break garé devant le Loft.

JEAN

Voilà. Il n’y a plus qu’à bien la caler pour qu’elle ne bouge pas pendant le voyage.

MARC

Je m’en occupe.

JEAN

Je vais te donner un coup de main.

MARC

Laisse, de toutes façons, j’ai aussi des toiles à emporter.

Jean ne semble pas vouloir s’éloigner.

MARC

Tu as de quoi manger ?

JEAN

Peut-être des pâtes à réchauffer, pourquoi ?

MARC

Si tu allais acheter de quoi manger, et une bonne bouteille…

Il sort de sa poche un billet qu’il tend à Jean. Jean hésite.

MARC

T’inquiète, je passerai ça en frais.

Jean hoche la tête, prend le billet et s’éloigne.

Dès qu’il est sorti de l’impasse, Marc se précipite dans son Loft, en ressort avec un tas de chaussettes remplies d’argent et, ouvrant la sculpture, les entasse à l’intérieur, retourne dans son Loft, ressort avec d’autres chaussettes qu’il entasse dans la sculpture…

58 – Impasse. Extérieur. Jour

Jean entre dans l’impasse et regarde Marc qui finit de ranger des toiles vierges dans la voiture, recouvrant ainsi entièrement la sculpture.

Jean lève son panier.

JEAN

De quoi faire un bon gueuleton. J’ai pris du chablis en apéritif…

Marc répond par un signe de la main, retourne dans son Loft, et ressort avec une valise qu’il range dans la voiture avant de la fermer à clef.

Puis il va rejoindre Jean.

59 – Atelier de Jean. Intérieur. Jour

Dans l’atelier, Jean a posé ses provisions sur la table, a ouvert la bouteille de vin blanc et rempli deux verres. Il en tend un à Marc.

JEAN

A notre succès.

Marc prend le verre, boit une seule petite gorgée avant de le reposer.

MARC

Tu sais, finalement, je pense que je vais partir tout de suite.

JEAN

Maintenant ?

MARC

Oui, comme ça je suis sûr d’être à l’heure au rendez-vous de demain. Je peux pas prendre le risque de faire attendre un collectionneur…

Jean le regarde, trop surpris pour comprendre. Puis montrant la nourriture posée sur la table

JEAN
Tu veux pas manger ?

MARC

Tu feras un gueuleton avec Lisa à ma santé.

60 – Autoroute. Extérieur. Soir

Marc roule sur l’autoroute. Les panneaux indiquent qu’il est près de la frontière belge. Il ralentit et prend la bretelle qui mène à une station service.

61 – Station service autoroute. Extérieur. Soir

Pendant que le pompiste est en train de faire le plein de sa voiture, Marc se dégourdit les jambes et, brusquement inquiet, regarde une voiture bleue se garer devant la boutique de la station service. Deux hommes en uniforme en sortent et entrent dans la boutique. Dans la voiture, on aperçoit un berger allemand.

Marc se rapproche du pompiste.

MARC

Je croyais que les douanes avaient disparu en Europe.

Le pompiste lève la tête et voit la voiture bleue.

POMPISTE

Les douanes oui, mais pas les douaniers. Ce sont des volants.

MARC

Et qu’est-ce qu’ils cherchent ?

Le pompiste range la pompe tout en parlant avec Marc.

POMPISTE

De la drogue, bien sûr. On est sur l’autoroute de Hollande…

MARC

C’est vrai.

Marc sort des billets, paye le pompiste, puis remonte dans sa voiture et démarre.

62 – Port d’Amsterdam. Extérieur. Nuit

Marc arrive sur le port d’Amsterdam. Il entre sa voiture dans le hangar qu’il a loué, puis ferme soigneusement la porte et se dirige à pied vers la ville.

63 – Amsterdam. Extérieur. Jour

Marc finit son petit déjeuner assis à la terrasse d’un café, au bord d’un canal.

Puis il se lève, et marche dans les rues.

Il arrive devant la galerie d’art où on a refusé de voir ses toiles, hésite un instant, puis entre.

64 – Galerie d’art. Intérieur. Jour

Marc regarde les peintures accrochées dans la galerie. Le propriétaire s’approche de lui.

PROPRIÉTAIRE

Les œuvres que vous regardez sont d’un jeune peintre que nous suivons depuis ses débuts. Il a une manière très particulière, mais qui commence à s’imposer.

MARC

Vous travaillez toujours avec les mêmes artistes ?

PROPRIÉTAIRE

Vous savez, un galeriste est certes un commerçant, mais c’est aussi un découvreur de talent. Nous avons une quinzaine d’artistes sous contrat. Voulez-vous voir notre catalogue ?

MARC

C’est plus votre galerie qui m’intéresse que vos artistes. Je suis peintre moi-même et…

PROPRIÉTAIRE (l’interrompant)

Vous savez, j’ai déjà les deux saisons prochaines programmées et…

MARC (l’interrompant à son tour)

J’ai un collectionneur qui est très intéressé par plusieurs de mes toiles. Il m’a déjà donné un acompte substantiel, et il aurait besoin d’un reçu. Mais comme je n’ai pas de galerie attitrée, j’avais pensé…

PROPRIÉTAIRE

Je prends 30%, comme toutes les galeries.

MARC

Naturellement. Mais vous laissez mes autres toiles exposées chez vous.

PROPRIÉTAIRE

Naturellement.

MARC

D’accord.

Ils se serrent la main.

MARC

Je vous donne l’argent, vous me faites un reçu et un chèque des 70% me revenant.

PROPRIÉTAIRE

Uniquement quand j’aurai encaissé l’argent.

Marc sort plusieurs liasses de billets de sa poche.

MARC

C’est en liquide. Mon collectionneur est un libanais… diamantaire si j’ai bien compris.

PROPRIÉTAIRE

Je vois.

Le propriétaire regarde les liasses de billets.

Marc sourit, range les billets dans sa poche.

MARC

Je vais chercher mes toiles et je vous donne l’argent.

Le propriétaire acquiesce avec un grand sourire.

65 – Banque. Intérieur. Jour

Marc signe un papier et le tend au banquier.

BANQUIER

Voilà, votre compte est ouvert. Vous pouvez dès maintenant tirer de l’argent, puisque la galerie du port nous a autorisés à faire un prélèvement immédiat sur son compte.

Marc serre la main du banquier, range dans sa poche papiers et carnet de chèques, puis sort.

66 – Galerie. Intérieur. Jour

Marc regarde deux de ses toiles exposées, dans un coin de la galerie.

PROPRIÉTAIRE

Alors, qu’en pensez-vous ?

MARC

Elles ne sont pas tellement mises en valeur. Vous ne pouvez pas les mettre en vitrine ?

PROPRIÉTAIRE
Non, elles ne correspondent pas à ce que cherchent mes clients habituels.

MARC

Mais …

PROPRIÉTAIRE, l’interrompant

Oui, je sais. Mais soyez patient, votre tour viendra.

MARC, fataliste

Je vais demander à mon collectionneur de passer les voir.

Le propriétaire acquiesce, tout heureux.

MARC

Je me demandais si je n’allais pas chercher un pied à terre où je pourrais peindre.

PROPRIÉTAIRE

Ça tombe bien, j’ai justement un ami qui cherche à louer un local d’artiste.

67 – Triplex. Intérieur. Jour

Marc est debout au milieu d’un triplex-atelier, avec une vue magnifique sur les canaux d’Amsterdam. Il regarde autour de lui, heureux.

68 – Lyon. Impasse. Extérieur. Jour

Marc gare sa voiture devant l’impasse, ouvre le portail et entre. Immédiatement, Jean sort de son atelier et se précipite vers lui.

JEAN

Alors ?

Marc sort une liasse de billets et la tend à Jean.

MARC

Vingt mille. Ça te va ?

JEAN, fou de joie

Tu parles que ça me va. J’ai jamais vendu une sculpture aussi cher.

Il prend les billets, les palpe, les compte, tout heureux. Puis il recompte et prend quelques billets qu’il à  tend à Marc.

JEAN

Tiens, les deux mille que je te dois.

MARC

Je croyais que tu devais les gagner au loto.

JEAN

Ça, c’est mieux que le loto.

MARC

C’est pareil !… Garde-les. Je n’en ai pas besoin pour l’instant. Tu me les rendras plus tard.

JEAN

T’es sûr ?

MARC
Profites-en pour payer une vraie maquette à Lisa.

Marc sourit et se dirige vers son Loft.

69 – Loft. Intérieur. Jour

Dans son atelier, Marc peint. Il est complètement absorbé par son travail.

Jean entre, portant une sculpture.

JEAN

Ma dernière œuvre ! Qu’est-ce que tu en penses ?

Marc se retourne et regarde.

MARC

Pas mal.

JEAN

Tu penses que ça intéressera ton collectionneur ?

Marc hausse les épaules en signe d’ignorance.

Jean regarde alors ce que Marc est en train de peindre.

JEAN

Il y a tout, mais… je sais pas… c’est comme si tu osais pas…

Marc le regarde, à la fois déçu et intéressé.

70 – Café Restaurant. Intérieur. Soir

Marc et Jean dînent dans le petit café restaurant de leur rue.

JEAN

C’est les mécènes qui manquent, c’est tout ! Tu vois, moi, quand j’aurai du fric, j’ouvrirais une sorte de musée qui achètera au moins une œuvre de chaque artiste que je rencontrerai.

MARC

C’est une bonne idée, mais comme tu dis, il faut du fric, beaucoup de fric. Où tu le trouves ?

Le Patron arrive à ce moment.

JEAN

J’en sais rien, moi… le loto, comme d’habitude !

PATRON

Le loto, si tu veux être sûr de gagner, faut faire comme l’autre, piquer la recette.

JEAN

Il a toujours pas été arrêté, celui-là ?

PATRON

Non, mais il paraît qu’on l’a vu dans le quartier.

Marc blêmit

MARC

Mais je croyais que la police n’avait aucune piste.

PATRON

Finalement ils ont pu l’identifier grâce aux empreintes digitales sur le volant de la voiture volée. Un récidiviste à ce qu’il parait.

MARC

Mais pourquoi ne l’ont-ils pas arrêté alors ?

PATRON

Les flics sont sûrs qu’il a eu un témoin et que c’est ce témoin qui a le fric. Ils pensent que le voleur le recherche, alors ils attendent qu’il fasse  le travail.

JEAN

Mais comment tu sais tout ça, toi, les journaux n’en parlent pas.

PATRON

Radio-comptoir, comme d’ab… Les flics ne veulent surtout pas que la presse s’en mêle. Ils veulent coincer le mec, et le témoin avec.

MARC

Mais ça peut prendre du temps.

PATRON
Quelle importance. De toutes les façons ils finissent toujours par se tuer entre eux et ensuite la police coince le survivant grâce au fisc, quand le voleur commence à tout dépenser.

Le Patron s’éloigne. Jean finit son assiette, pendant que Marc, tendu, vide la bouteille de vin dans son verre et le boit d’un coup.

JEAN

Ah, au fait, j’ai oublié de te dire que Anne est passée.

MARC

Anne ? Qu’est-ce qu’elle voulait ?

JEAN

Voir tes nouvelles toiles, je crois.

Marc le regarde sans comprendre.

JEAN

Ben oui, elle veut voir ce qui peut intéresser ton collectionneur.

71 – Galerie d’Anne. Extérieur. Jour.

Marc se gare devant la galerie d’Anne, mais celle-ci est fermée. Il hésite, puis remonte dans sa voiture.

72 – Club de Gym. Extérieur. Jour.

Marc arrive devant le club de gym où va Anne. Il se gare et sort de sa voiture, mais s’arrête et se cache en voyant Anne sortir avec un beau gymnaste.

Il les regarde parler, rire, et s’éloigner ensemble bras dessus bras dessous.
Marc reste figé, ne sachant que penser.

73 – Sortie d’école. Extérieur. Jour

Julie sort de l’école, entourée de ses camarades. Elle aperçoit Marc qui l’attend. Julie quitte ses amies et court vers lui.

JULIE

Papa !

MARC

Bonjour, ma chérie.

JULIE

Pourquoi tu viens me chercher ?

MARC

Comme ça. J’avais envie de te voir.

JULIE

Tu restes avec nous, ce soir ?

MARC

Non, ma chérie, je dois repartir pour mon travail. Mais je serai là dimanche prochain, et je te promets qu’on passera la journée ensemble.

JULIE

Promis oui-oui ?

MARC

Promis oui-oui.

Julie le regarde, sourit

JULIE
Puisque tu es là, tu me raccompagnes.

MARC

Je dois aller chercher des toiles, mais je peux bien faire un détour.

74 – Rue. Extérieur. Soir.

Marc se gare, sort de sa voiture, prend les toiles vierges qu’il vient d’acheter, se dirige vers le portail et l’ouvre.

75 – Impasse. Extérieur. Soir.

Marc entre dans l’impasse et s’arrête, étonné, en voyant Anne en discussion avec Jean.

MARC

Anne ! Qu’est-ce que tu fais là ?

ANNE

Julie m’a dit que tu partais. Je venais voir tes dernières toiles… tu sais, pour l’exposition… je voudrais faire une expo de tous les peintres que j’ai eu depuis dix ans.

MARC

Je n’ai rien de prêt.

ANNE

Ça fait rien. Montre-moi ce que tu as.

MARC

Pas encore. Dans une dizaine de jours, je te promets.

ANNE

OK, comme tu voudras.

Déçue, Anne s’en va rapidement.

76 – Galerie Amsterdam. Intérieur. Jour

Marc entre dans la galerie et tend une enveloppe au propriétaire.

MARC

Tenez, je viens reprendre les deux toiles pour mon collectionneur. Voilà l’argent, vous n’aurez qu’à me préparer mon chèque.

PROPRIÉTAIRE

Vous ne me laissez pas d’autres toiles ?

MARC

Pas aujourd’hui. Mais je vous en apporterai d’autres avant de retourner à Lyon.

77 – Triplex. Intérieur. Jour

Marc entre dans son triplex d’Amsterdam, aménagé en atelier d’artiste.

Ses toiles sont entassées contre le mur, et la sculpture de Jean, la “femme coffre-fort”, trône sur un socle, comme une sculpture décorative.

Marc pose les deux tableaux qu’il vient de racheter à la galerie, et prend les autres toiles pour choisir celles qu’il va donner en échange. Il en choisit deux, qu’il pose à côté de la porte, puis prend un des deux tableaux qu’il vient de rapporter, le met contre le mur, se ravise, le pose sur un chevalet, le regarde, et brusquement prend un tube de peinture et commence à peindre par-dessus, avec de plus en plus de fébrilité et de passion. Il peint ainsi un autre tableau, mais en gardant néanmoins intactes certaines parties de l’ancienne peinture. Il en résulte une toile nouvelle, dont il se dégage maintenant une force qu’elle n’avait jamais eue.

Marc se recule, regarde son travail. Il pose la toile contre un mur, puis se précipite pour choisir un autre tableau, le pose sur le chevalet, et commence à le repeindre.

78 – Galerie Amsterdam. Intérieur. Jour

Marc montre les deux tableaux qu’il a complètement repeints au propriétaire. Celui-ci les regarde, étonné et heureux.

PROPRIÉTAIRE

Superbe. C’est vraiment superbe. Il y a dans ces toiles une force, une maturité, une autorité qu’il n’y avait pas dans les précédentes. On reconnaît votre manière, mais quelle vigueur ! Vous savez, cher ami, même sans votre collectionneur, ce sont des toiles que j’aurais prises sans hésiter. Ça, c’est une peinture qu’on a envie de défendre.

MARC

Encore faut-il avoir envie de les voir pour pouvoir les défendre !

Le propriétaire a un rire gêné en guise de réponse, puis il vide sa vitrine des toiles exposées pour les remplacer par les toiles de Marc.

Puis se tournant vers lui, il lui adresse un grand sourire auquel Marc répond.

79 – Galerie Anne. Intérieur. Jour

Marc apporte à Anne les deux toiles qu’il avait initialement prévues pour la galerie d’Amsterdam.

ANNE

Je croyais que ton collectionneur avait acheté toutes tes anciennes toiles.

MARC (troublé)

Oui, c’est vrai. Mais il a accepté de me prêter ces deux-là pour ton exposition.

ANNE

Ça ne m’intéresse pas, Marc. Moi, je vends des tableaux, je ne suis pas un musée qui expose des œuvres du passé… surtout quand elles ne sont pas…

MARC

Quand elles ne sont pas bonnes, tu as raison. Laisse-moi le temps de terminer celles que j’ai commencées. Tu verras, c’est autre chose, c’est vraiment autre chose. Je crois que je suis enfin sur la bonne voie.

ANNE

Je l’espère, Marc. Je l’espère sincèrement… pour toi, et pour nous…

80 – Galerie Amsterdam. Intérieur. Jour.

Marc regarde étonné la vitrine de la galerie où ses deux tableaux ne sont plus exposés.

Il entre, furieux, mais le propriétaire se précipite vers lui

PROPRIÉTAIRE

Ah, cher ami, je vous attendais avec impatience. J’ai vendu vos toiles à un de mes collectionneurs. C’est fantastique. Amenez m’en d’autres le plus vite possible, j’ai d’autres clients qui attendent.

Marc le regarde sans comprendre.

PROPRIÉTAIRE

Au fait, j’oubliais. Il faut que je vous présente une journaliste qui veut absolument faire un article sur vous.

MARC

Sur moi ?

PROPRIÉTAIRE

Oui, vous, votre peinture … Vous savez, les vrais talents sont rares.

MARC

Mais … c’est que je ne peux pas rester bien longtemps ….

PROPRIÉTAIRE

Ce soir, pour dîner, ça vous va ?

81 – Triplex. Intérieur. Jour.

Marc regarde ses anciens tableaux posés en vrac contre un mur. Puis il en prend un, le met sur son chevalet de travail, et commence à le “ repeindre ”.

82 – Restaurant Amsterdam. Intérieur. Nuit.

Marc dîne en compagnie du propriétaire de la galerie et d’une journaliste, Edith.

EDITH
Je vous avoue être fascinée par vos dernières toiles. Elles sont si … complètes … je ne sais pas exactement comment dire, mais j’y vois deux styles superposés … votre passé et votre présent …

MARC

Arrêtez, vous allez me faire rougir.

Edith se tourne en riant vers le propriétaire

EDITH

C’est merveilleux, il sait encore rougir.

Le propriétaire hoche la tête, riant lui aussi

PROPRIÉTAIRE

Je vous l’avais dit. Il existe encore des artistes … des vrais.

Edith se tourne alors vers Marc

EDITH
Mais qu’est-ce qui vous a amené, ici, à Amsterdam ? D’habitude c’est l’inverse qui se passe, les artistes, dès qu’ils sont célèbres, vont s’installer en France ..

MARC

Je ne suis pas célèbre.

EDITH

Pas encore, mais laissez-moi faire.

Sans écouter sa réponse, Marc enchaîne

MARC

J’avais besoin de changer de vie, de me retrouver.

EDITH

Problèmes sentimentaux ?

MARC

Pas du tout. Problèmes de … création, pour reprendre vos mots.

Edith le regarde en souriant, séductrice.

EDITH

Je suis sûre que je vais faire un très bon article sur vous.

PROPRIÉTAIRE

J’y compte bien.

Et, prenant son verre il le lève

PROPRIÉTAIRE

Et bien, à votre réussite et à notre collaboration.

Ils trinquent tous les trois, heureux.

Puis, au moment où il repose son verre, le propriétaire enchaîne

PROPRIÉTAIRE

Et n’oubliez pas de me ramener d’autres toiles très rapidement.

MARC

Je finirai le tableau que j’ai en train cette nuit. Je vous l’amènerai demain dans la matinée.

EDITH

Je pourrai vous voir peindre.

MARC

Je n’y tiens pas.

EDITH

Pour faire mon article j’aurai besoin de photos de vous en train de travailler, dans votre atelier …

MARC

Non, je tiens à ce que mon atelier reste privé.

EDITH

Mais c’est justement votre vie privée qui intéresse le public.

MARC
Non. Ce sont mes œuvres, pas moi.

EDITH

On en reparlera. Est-ce qu’on pourrait faire une séance de photos demain après midi ?

MARC

Bien sûr.

EDITH

On pourra faire des photos dans la galerie, et puis sur les quais, au bord de canaux …. Ça vous va ?

MARC

C’est vous qui décidez.

83 – Triplex Intérieur. Matin.

On sonne à la porte. Marc, endormi, sursaute, se drape dans un peignoir et va ouvrir. Edith est là.

EDITH

Tenez, je vous ai apporté des croissants.

MARC

On avait rendez-vous à quinze heures, non ?

EDITH

C’est exact. Mais je voulais vous voir avant.

MARC

Pourquoi ?

EDITH

Pour vous connaître mieux. … Et puis je suis curieuse de voir ce que vous avez peint cette nuit.

Comme Marc reste là, sans répondre, elle enchaîne

EDITH

Vous faites le café, ou vous voulez que je le fasse.

Et sans attendre, elle pousse gentiment Marc, et entre dans son triplex

EDITH

OK, je m’en occupe. Allez prendre votre douche pendant ce temps.

Surpris, Marc marque un temps d’arrêt, puis referme la porte derrière lui et rejoint Edith dans le coin cuisine

MARC

Le café est dans le placard du haut et …

EDITH

Ne vous inquiétez pas, je vais trouver.

Marc hoche la tête, monte dans le coin chambre, entre dans la salle de bain et ferme la porte derrière lui. Et peu de temps après, on entend le bruit d’une douche.

Edith allume le feu sous la cafetière, et installe sur la table deux bols et ses croissants. Puis elle fait le tour de la pièce atelier et s’arrête devant le tableau encore humide posé sur le chevalet, sort un petit appareil photo et prend rapidement des photos de l’atelier, de la dernière toile, de la sculpture de Jean …

Puis elle retourne vers le coin cuisine, prend la cafetière, l’amène sur la table et appelle

EDITH

Le café est prêt.

MARC, off

J’arrive.

Il descend de la loggia, finissant de boutonner sa chemise.

MARC

Excusez-moi, mais j’ai peint toute la nuit.

EDITH

J’aime beaucoup.

Marc hoche la tête, heureux.

Et il s’installe en face d’Edith qui lui sert son café.

MARC

Ca sent bon. … Ça vous arrive souvent de vous inviter comme ça chez les gens ?

EDITH

Uniquement quand ils me plaisent.

MARC

C’est direct.

EDITH

Et sincère.

MARC

Je ne vous ai pas dit que je suis marié …

EDITH

Moi aussi … enfin il y a longtemps.

Marc la regarde, ne sachant que répondre

EDITH

Ne faites pas cette tête. Je ne vais pas vous violer.

MARC, ironique

Dommage.

A son tour, Edith le regarde sans trop savoir que répondre.
Ils se regardent, se sourient, brusquement complices.

84 – Rues Amsterdam. Extérieur. Jour.

Marc et Edith se promènent dans Amsterdam.

EDITH

J’aime cette ville. Je pourrai m’y promener des heures.

MARC

Je dois avouer que son atmosphère me fait du bien. Elle m’a redonné envie de créer … Envie d’avoir confiance en moi.

EDITH
Vous savez Marc, tous les créateurs ont des moments de doute … C’est ce qui fait leur valeur, la remise en cause de soi-même.

MARC

Oui, je sais … Mais c’est quand même pénible quand on le vit.

Ils marchent un moment en silence.

EDITH

Quand j’étais petite fille, j’adorais m’arrêter sur un pont, et regarder le canal. Je pensais que, plus tard, je serai peintre et dans ma tête l’eau prenait des reflets aux couleurs merveilleuses … J’avais du talent à l’époque.

MARC

Et maintenant ?

EDITH

Maintenant je sais parler du talent des autres. Le mien reste mon jardin privé.

MARC

Vous peignez ?

EDITH

Non, j’aurai trop peur d’être déçue.

MARC

Si vous n’essayez pas, vous ne saurez jamais.

EDITH

Je ne veux pas savoir. Je préfère garder mes rêves de petite fille.

Marc la regarde, attendri.

85 – Galerie Amsterdam. Intérieur. Jour.

Séance de photos dans la galerie, en présence du propriétaire. Marc, docile, se laisse photographier devant ses toiles, en “fausse discussion” avec le propriétaire, en train de réinstaller une de ses toiles sur un mur.

PROPRIÉTAIRE

C’est parfait …

Et se tournant vers la journaliste, il enchaîne

PROPRIÉTAIRE

Je compte sur vous pour un article élogieux.

EDITH

Ne vous inquiétez pas. Nous allons encore prendre quelques photos au bord des canaux et je pense que j’aurai tout ce dont j’ai besoin.

86 – Canaux. Amsterdam. Extérieur. Jour.

Marc se promène au bord des canaux, photographié par le photographe sous les conseils d’Edith.

Puis Edith vient vers lui

EDITH

Voilà, j’ai tout ce qu’il me faut. Je vous invite à prendre un pot pendant que le photographe va faire développer ses photos.

87 – Café. Intérieur. Jour.

Marc et Edith sont assis dans un café, en train de boire des bières.

EDITH

Vous êtes très photogénique.

MARC

Comment pouvez-vous le savoir avant d’avoir vu le résultat.

EDITH

C’est le photographe qui me l’a dit. Et il ne se trompe jamais.

Marc la regarde, ne sachant que répondre

EDITH

Il y a une chose que je m’explique mal. Comment se fait-il qu’avec votre talent, vous ne soyez pas encore célèbre.

MARC

Je n’étais peut-être pas prêt.

EDITH

D’accord. Mais pourquoi maintenant. Qu’est-ce qui a changé dans votre vie.

MARC, ironique

Vous.

Edith le regarde, brusquement troublée. Elle sourit.

MARC

L’interview est fini ?

EDITH

Pourquoi, vous vous ennuyez ?

MARC

Pas exactement. Mais je préférerai m’adresser à la femme plutôt qu’à la journaliste.

EDITH
J’ai encore du travail à finir. Mais ce soir, si vous êtes libre ….

MARC

7 heures ?

EDITH

Chez vous ?

MARC

Oui, mais sans les croissants.

La journaliste le regarde, amusée, attendrie.

88 – Triplex. Intérieur. Soir.

Marc finit de préparer une table, artistiquement décorée, pour deux.

Puis il passe dans le coin cuisine où finit de mijoter un lapin à la moutarde.

On sonne à la porte, il se précipite et ouvre. Edith est là, une tulipe à la main.

Marc la regarde surpris, et éclate de rire

MARC

En France ce sont les femmes qui font la cuisine et les hommes qui apportent des fleurs.

EDITH

En hollande aussi, mais ça n’empêche pas les exceptions.

Elle entre dans le triplex, et, d’une façon toute naturelle va prendre un verre, le remplit d’eau, y met sa tulipe et la pose sur la table.

EDITH

Ma façon à moi de participer.

Puis, se tournant vers Marc

EDITH

Pour être franche, je pensais qu’on allait au restaurant.

MARC

Que voulez-vous, quand on vit seul on sait faire la cuisine.

EDITH

Vous avez aussi ce talent ?

MARC

Pas vraiment. Mais j’ai un ami sculpteur qui adore cuisiner. Et il m’a appris une de ses spécialités. J’espère qu’elle vous plaira.

EDITH

En tout cas, ça sent bon.

Marc sort une bouteille de vin blanc du frigidaire, sert deux verres et apporte le sien à Edith. Ils se regardent, se sourient, trinquent et boivent en silence.

Puis d’un même mouvement ils reposent leurs verres, s’approchent l’un de l’autre et s’embrassent fougueusement.

89 – Triplex. Intérieur. Nuit.

Dans la cuisine, le plat qui mijote sur le feu, fume abondamment.

Marc descend en courant de la chambre, en enfilant une robe de chambre, se précipite vers la cuisine et éteint le feu sous la casserole d’où se dégage une forte fumée noire. Puis il essaie d’enlever le couvercle, se brûle, prend un torchon, l’enlève et regarde les morceaux brûlés de ce qui aurait dû être leur dîner.

Edith descend à ce moment de la chambre, uniquement vêtue de la chemise de Marc.

MARC

Pour une fois que je m’étais appliqué à faire la cuisine, c’est raté.

EDITH

Rien à dire sur le reste, par contre.

Marc la regarde, sourit et l’embrasse.

MARC

Si tu as faim, j’ai un peu de fromage …

EDITH

Et du vin ?

MARC

L’amour et l’eau fraîche ne suffisent plus.

EDITH

Un petit supplément n’a jamais fait de mal à personne.

En riant, Marc sort un plateau de fromage du frigidaire, prend la bouteille de vin rouge, l’ouvre et sert les deux verres.

Ils en prennent chacun un, trinquent et boivent une gorgée en se regardant fixement dans les yeux.

EDITH

Tu sais, je ne voudrais pas que tu crois que je suis une fille facile. C’est la première fois que ça m’arrive …

MARC

Confidence pour confidence, moi aussi.

EDITH

Tu n’as jamais trompé ta femme ?

MARC

C’est la première fois.

EDITH

Mais vous êtes séparés, m’as-tu dit.

MARC

Oui …. Si l’on veut.

EDITH

Tu l’aimes encore.

MARC

Je crois, oui. Et puis surtout, il y a Julie.

EDITH

Ta fille ?

MARC

Oui. Elle a huit ans. Elle est merveilleuse, je l’adore.

EDITH

Je ne suis pas jalouse.

MARC

Dommage.

EDITH

Tu sais, je fais souvent des reportages à l’étranger et j’ai appris à vivre au jour le jour. Je ne sais pas ce qui se passera demain, mais ce soir, je suis heureuse avec toi.

Marc lui prend la main, et l’embrasse tendrement.

MARC

Moi aussi, je suis bien. Il y longtemps que cela ne m’était pas arrivé.

90 – Rue. Lyon. Extérieur. Jour.

Marc gare sa voiture devant l’impasse, sort du coffre trois tableaux “repeints”, et entre dans l’impasse.

91 – Impasse. Extérieur. Jour.

Il passe devant l’atelier de Jean, mais manifestement Jean n’est pas chez lui. Marc se dirige alors vers son Loft, ouvre la porte et entre.

92 – Loft. Intérieur. Jour.

Marc pose ses tableaux sur une table, puis regarde autour de lui, étonné, inquiet.

Tout à l’air normal, mais les placards sont mal fermés et des objets ne sont manifestement plus à leur place.

Marc regarde autour de lui, de plus en plus inquiet, et brusquement ouvre le placard où il avait caché la valise où il a trouvé l’argent. Celle-ci a été déplacée, ouverte, mais laissée au fond du placard.

Marc regarde la valise, paniqué.

MARC

Merde, merde, merde ….

Et brusquement il se met à taper comme un fou contre le mur.
Puis, tout aussi brusquement, il sort en courant

93 – Impasse. Extérieur. Jour.

Marc traverse l’impasse en courant, et essaie d’entrer chez Jean. Mais la porte est fermée. Il frappe contre la porte, sans réponse.

Marc reste là, hésitant, ne sachant que faire.

A ce moment on sonne au portail de l’entrée de l’impasse. Surpris Marc hésite, puis va ouvrir le portail.

Un homme élégant, d’une quarantaine d’année, une petite mallette à la main est devant le portail.

L’HOMME, avec un accent anglais prononcé

Excusez-moi, Monsieur, je cherche monsieur Marc Dutair.

Marc, le regarde, perplexe

L’HOMME
On m’a dit qu’il habitait ici. Est-ce que je peux entrer ?

MARC

Qu’est-ce que vous lui voulez ?

L’HOMME

J’ai un ami libanais, un collectionneur, qui m’a conseillé de venir le voir.

MARC, livide

Pourquoi ?

L’HOMME
J’aime beaucoup les tableaux que m’a montré mon ami, et je voudrai en acheter moi aussi.

MARC

Monsieur DUTAIR n’est pas là en ce moment. Il est à l’étranger et je ne sais pas quand il rentrera.

L’HOMME

Comme c’est dommage. Je ne suis à Lyon que pour quelques jours. Vous êtes sûr que je ne pourrai pas le contacter ?

MARC

Certain.

Et il referme le portail, et reste là, immobile, livide, paniqué, ne sachant que penser.

Jean ouvre le portail, faisant sursauter Marc.

JEAN

Ça va pas ?

MARC, bafouillant

Si, si, tout va bien .

Jean le regarde, perplexe,

JEAN

Qu’est-ce qu’il voulait le type que j’ai vu sortir d’ici ?

MARC

Rien, c’était une erreur … Il s’était trompé d’adresse.

Jean hoche la tête sans répondre.

Puis comme Marc reste figé, il enchaîne

JEAN

Tu attends quelqu’un ?

MARC

Non, non …

Et il se précipite vers son Loft, suivi du regard par Jean.

94 – Loft. Intérieur. Jour.

Marc entre à nouveau dans son Loft, referme brutalement la porte à clef derrière lui.

Il fait rapidement le tour de son Loft en regardant s’il ne voit rien d’anormal, puis reste, perplexe, au milieu du Loft.

Brusquement il ouvre le placard, ressort la valise, et, nerveusement, avec un couteau essaie de la couper en morceau. Mais il a beaucoup de mal. Il la met alors dans un grand sac, et le sac à la main, ressort de son Loft, traverse l’impasse et sort dans la rue.

Jean, caché derrière les rideaux de sa fenêtre, le regarde partir.

95 – Décharge publique. Extérieur. Jour.

Marc gare sa voiture devant la décharge publique, sort le sac, l’ouvre et prend la valise.

Il regarde autour de lui, mais se ravise, prend un bidon d’essence dans sa voiture, en renverse sur la valise, jette la valise sur le tas d’ordure, prend une allumette, l’allume et la jette sur la valise qui prend immédiatement feu.

Marc, immobile, regarde la valise brûler.

96 – Loft. Intérieur. Jour.

Marc, le sac vide posé sur une table, prend une bouteille de vin entamée, se sert et boit.

Puis, il regarde ses toiles repeintes posées par terre, en prend deux et sort.

97 – Rue. Extérieur. Jour.

Marc, portant ses tableaux, sort de l’impasse, referme soigneusement le portail derrière lui, puis se dirige vers sa voiture.

Il pose les tableaux à l’arrière de sa voiture, démarre et se prépare à déboîter. En regardant derrière lui il aperçoit un motard, casqué, sur une grosse moto noire, qui le regarde, immobile.

Marc sort de sa place de parking et s’éloigne. Mais très vite il se rend compte que le motard a démarré après lui et le suit.

98 – Rues. Extérieur. Jour.

Marc conduit prudemment, regardant régulièrement derrière lui si le motard le suit.

Brusquement il tourne à droite, mais le motard continue à le suivre.

Marc change régulièrement de direction, toujours suivi par le motard.

Marc, au volant de sa voiture, transpire, inquiet, tendu.

Marc s’arrête alors, ne sachant de faire.

Le motard fait demi tour et accélère brusquement, disparaissant très vite dans une autre rue.

Marc, immobile, ne sait que faire.

99 – Immeuble Anne-Julie. Extérieur. Fin d’après-midi

Marc, une grande toile dans les mains, est devant chez Anne et Julie. Il sonne à l’interphone, attend, sonne encore, attend, puis reste devant l’immeuble un moment à regarder dans la rue. Il jette un coup d’œil à sa montre, regarde à nouveau dans la rue, puis se dirige vers sa voiture.

100 – Galerie d’Anne. Intérieur. Jour.

Marc se gare devant la galerie d’Anne, prend les toiles et entre dans la galerie.

Anne, assise derrière un bureau au fond de la galerie, le regarde arriver, puis lui montre le journal qu’elle est en train de lire

ANNE

Bravo, je vois que tu as fait d’énorme progrès quant à ta publicité.

MARC

Tu as le journal des galeries ?

ANNE

Bien sûr, toutes les galeries le reçoivent.

MARC

Je n’y suis pour rien …. C’est la galerie d’Amsterdam qui a insisté.

ANNE

Je ne te le reproche pas. Je suis jalouse, c’est tout.

Marc hoche la tête, ne sachant pas s’il doit prendre au sérieux la remarque d’Anne. Puis il pose ses toiles sur le bureau

MARC

Je t’ai apporté mes dernières toiles.

Sans se lever, Anne prend les tableaux les uns après les autres, les regardant attentivement en silence.

Puis elle regarde Marc longuement avant de parler

ANNE

Je savais que tu avais du talent.

Elle se lève, contourne son bureau pour se rapprocher de Marc

ANNE

Je peux les garder ?

Marc hoche la tête, affirmativement.

ANNE

C’est ta dernière toile, c’est ça ?

MARC

Comment le sais-tu ?

ANNE

C’est le tableau qui est exposé, en cours de travail, sur ton chevalet. Au fait, bravo pour ton nouvel atelier.

Marc, paniqué, regarde Anne sans comprendre.

Anne prend alors le journal ouvert sur l’article sur Marc

ANNE

Regarde toi -même … Et je suis sûr que cela fera plaisir à Jean de voir que tu as une de ses sculptures …. Mais, entre nous, tu aurais pu en prendre une de qualité.

Marc, blême, se précipite sur l’article et le feuillette

MARC murmure

La garce.

Anne, sans entendre la remarque de Marc, regarde le tableau, puis demande

ANNE

Tu veux venir dîner ce soir ? Julie sera contente de te voir.

Marc, furieux de l’article qu’il vient de lire, la regarde sans comprendre. Puis se reprenant,

MARC

Je vous invite au restaurant, si tu veux.

ANNE

Non. Julie va en classe demain. Je ne veux pas qu’elle se couche tard. Bon, je t’attends vers 8h 1/2.

Marc hoche la tête pour accepter.

ANNE

Tu es rentré depuis longtemps ?

MARC

Non, tout à l’heure. Je suis passé à la maison pour t’apporter ces toiles, mais comme il y avait personne, j’ai pensé que tu étais encore ici.

ANNE

Comment il n’y avait personne ! Et Julie ?!

MARC

Mais… je sais pas. J’ai sonné plusieurs fois, j’ai attendu… On est jeudi aujourd’hui… Julie a pas un cours de danse, le jeudi ?

ANNE

Mais oui, c’est vrai… Excuse-moi, avec cette nouvelle expo, je ne sais plus vraiment où j’en suis. A propos, c’est pour ça que je voulais te voir.

Marc la regarde, sans comprendre.

ANNE

Jean ne t’a pas dit ?

MARC

Je ne l’ai pas encore vu.

ANNE

Je comprends. Je suis passé pour te voir, mais je n’ai trouvé que Jean en train d’arroser tes plantes. Tu as de la chance d’avoir un copain comme ça.

Marc n’écoute pas vraiment Anne, manifestement préoccupé. Il s’approche du bureau en interrompant Anne.

MARC

Je vais appeler pour être sûr que Julie est bien rentrée.

Anne hausse les épaules, et continue à arranger les tableaux. Marc fait le numéro, et laisse sonner, longtemps. Quand il raccroche, il a l’air très inquiet.

MARC

Ça ne répond pas !…

ANNE

Il est quelle heure ?

Marc regarde sa montre.

MARC

Sept heures et demi.

Anne regarde Marc, inquiète elle aussi.

ANNE

Sept heures et demi ?! Elle devrait être rentrée depuis une heure au moins.

101 – Rues de Lyon. Voiture. Intérieur. Soir

Marc, Anne à ses côtés, conduit très vite et nerveusement.

Anne finit une conversation sur son portable.

ANNE

Très bien. Merci. Au revoir.

Anne se tourne vers Marc, livide.

ANNE

Le prof de danse est malade, le cours a été annulé… Mais où elle peut bien être ?!

MARC

Si jamais il lui est arrivé quelque chose à cause de moi…

ANNE

A cause de toi ?! Pourquoi à cause de toi ?

MARC

Je n’aurais jamais dû…

Marc se tait brusquement, laissant sa phrase en suspend.

ANNE

Tu n’aurais jamais dû quoi ?

MARC

Vous laisser. Je n’aurais jamais dû vous quitter, Julie et toi.

ANNE

Ecoute, Marc, ça fait plus de six mois que tu es allé t’installer dans ton atelier. On a appris à se débrouiller sans toi, Julie et moi.

Marc se gare en catastrophe dans la rue d’Anne et Julie. Anne et lui sautent de la voiture et partent en courant vers l’immeuble d’Anne.

Julie est assise dans l’entrée, en train de lire un livre. Elle lève la tête en les entendant arriver, et leur sourit.

JULIE

Ah, vous voilà enfin ! Ça fait une demi heure que j’attends.

ANNE

Julie ! Mais où étais-tu ?

MARC

On était fous d’inquiétude.

JULIE

J’étais chez Mathilde. On n’a pas eu notre cours de danse, et j’ai oublié mes clefs. Alors Mathilde m’a invitée chez elle.

ANNE

Tu aurais pu me téléphoner.

JULIE

Ben on s’est amusées, et j’ai pas vu l’heure passer. Tu restes avec nous pour dîner, papa ?

MARC

Oui. Mais j’ai encore une course à faire, et je reviens tout à l’heure.

102 – Impasse. Extérieur. Jour.

Marc, tendu, entre dans l’impasse et remarque tout de suite que l’atelier de Jean est ouvert.

Il entre dans l’atelier où Jean est en train de travailler sur une sculpture.

Marc, tendu, le regarde souder un morceau de sa sculpture en silence.

Jean sent sa présence, pose son chalumeau, enlève son casque de soudure

JEAN

Salut Marc. Alors ton voyage s’est bien passé ?

MARC, sèchement

Très bien. Et ici, quoi de neuf ?

JEAN

Rien de bien spécial. La routine.

MARC

Ta moto n’est pas garée devant la porte. Tu as des ennuis ?

JEAN

Rien de grave. Des réglages. Je l’ai laissé au garage pour quelques jours.

Marc hoche la tête, en silence.

MARC

Personne n’est venu en mon absence ?

JEAN

Pourquoi, ton collectionneur devait venir ici ?

MARC

Non !

JEAN

Il aurait pu venir voir mes sculptures !

MARC

Il n’est pas en France, en ce moment.

JEAN, déçu.

Ah …

Marc tourne autour de la sculpture que Jean est en train de travailler, puis

MARC

Au fait, tu as gagné au loto ?

JEAN

Pourquoi ? Tu veux que je te rembourse ?

MARC

Non, je demandais ça comme ça.

Et après un léger silence, il enchaîne

MARC

Et le voleur, tu as du nouveau ?

JEAN

J’en ai plus entendu parler.

MARC, furieux

J’en ai assez de tes non réponses…

Marc, tendu, est prêt à laisser éclater sa colère rentrée, mais à ce moment, Lisa sort de la salle de bain en s’essuyant les cheveux.

LISA

Marc, comment vas-tu ?

Marc, surpris, la regarde, ne sachant que dire.

LISA

Tu sais, grâce à la sculpture de papa que tu as vendue, j’enregistre ma chanson la semaine prochaine.

MARC

J’en suis heureux pour toi.

LISA

Et moi donc. Tu dînes avec nous ce soir ?

MARC

Non, Anne m’a invité.

JEAN, surpris

Anne ?  Décidément, les temps changent.

LISA

Dommage, une autre fois, alors.

MARC

Bien sûr.

Et il quitte rapidement la pièce.

103 – Appartement Anne. Intérieur. Soir.

Anne ouvre la porte à Marc qui entre, un bouquet de fleurs à la main.

ANNE

C’était pas la peine, tu sais.

MARC, ironique

C’est pour la galeriste.

Anne prend les fleurs sans répondre, et tout suite Julie apparaît et se jette dans les bras de son père. Marc embrasse sa fille et entre dans le salon à sa suite, où Anne range les fleurs dans un vase. Puis elle repart alors vers la cuisine, en disant

ANNE

C’est presque prêt. Je te laisse ouvrir la bouteille de vin qui est sur la table.

Resté seul, Marc ouvre la bouteille de vin, sert deux verres et rejoint Anne dans la cuisine.

104 – Cuisine appartement Anne. Intérieur. Jour.

Marc tend un verre à Anne qui est en train de touiller de la nourriture dans une grande marmite

ANNE

Tu aimes toujours le poulet au carry ?

MARC, ironique

Tu n’as pas oublié ?

Anne prend le verre que lui tend Marc, et boit une gorgée sans attendre.

105 – Salon-salle à manger. Intérieur. Nuit.

Anne, Julie et Marc ont fini de manger.

ANNE

Tu sais, quand je pense à tes dernières toiles, je retrouve ton ancien style, mais renforcé par une touche nouvelle, plus forte qui donne … je sais pas comment dire … de la puissance à ton travail.

Julie, pendant que sa mère parle, finit de manger une glace puis s’adressant à son père

JULIE

Tu repars bientôt en voyage.

MARC

Oui, très bientôt.

JULIE

Mais où tu vas si souvent. Avant tu ne bougeais jamais.

MARC

Je travaille pour une galerie qui me demande de venir les voir souvent.

JULIE

Où ça ?

MARC

A Amsterdam.

JULIE

Amsterdam ? Là où il y a des canaux ?

MARC, amusé

Oui, c’est ça.

JULIE

N’oublie pas. Tu m’as promis de m’y amener un jour.

MARC

Si ta maman est d’accord.

Julie se tourne vers sa mère, l’œil interrogatif

ANNE

Si c’est pendant les vacances scolaires …

JULIE

Oh c’est trop loin ça. Pourquoi pas pendant ce week end.

MARC

Pourquoi pas, en effet.

106 – Amsterdam. Extérieur. Jour.

Marc et Julie sont sur un petit bateau qui les promène dans Amsterdam. Julie est ravie, enthousiaste. Marc est heureux de la joie de sa fille. Mais brusquement il se fige en apercevant sur une berge le motard qui l’avait déjà suivi à Lyon et qui roule lentement, suivant manifestement le trajet du bateau.

Dés que le bateau accoste, Marc se précipite pour sortir parmi les premiers et regarde autour de lui. Mais il n’aperçoit plus le motard.

Il prend alors Julie par la main, et l’entraîne, presque en courant, vers un café

JULIE

Mais pourquoi tu cours comme ça ? On a tout le temps.

MARC

On ne fait pas attendre une glace.

JULIE, riant

Evidemment.

Et courant tous les deux, ils se précipitent dans un café et y entrent.

107 – Café. Intérieur. Jour.

Marc et Julie s’installent à une table et Julie commande une énorme glace et Marc une bière.

Et pendant que Julie mange sa glace Marc regarde souvent au travers de la vitrine pour voir si le motard est encore là. Mais il ne remarque rien d’anormal.

JULIE

Tu ne m’aimes plus ?

MARC

Julie, comment peux-tu dire ça ?

JULIE

Ben on n’est pas arrivé depuis plus d’une heure et tu parais tendu, nerveux, comme si c’était une corvée d’être ici avec moi.

MARC

C’est pas ça, ma chérie, mais j’ai peur que tu t’ennuies.

JULIE

Et pourquoi je m’ennuierai. J’ai une copine qui me parle toujours d’Amsterdam comme si elle seule pouvait connaître. Moi, je veux tout voir pour lui rabattre le caquet.

Marc, regarde sa fille, amusé

MARC

Tu sais ce qu’on va faire. On va jouer aux touristes et on va aller dormir dans le plus grand hôtel.

JULIE

Je croyais que tu avais un atelier ici.

MARC

Juste un studio. C’est pas assez confortable pour y dormir.

JULIE

Mais comment tu fais alors ?

MARC

Moi c’est pas pareil. Je campe.

JULIE

Moi aussi j’aime bien camper.

MARC

Mais qu’est-ce que tu raconteras à ton amie, alors ?

Julie le regarde, troublée par l’argument.

108 – Grand Hôtel. Intérieur. Jour.

Marc et Julie entrent dans une chambre du grand hôtel, chambre donnant sur la place principale.

Pendant que Julie, ravie, regarde tout autour d’elle, Marc s’approche de la fenêtre et regarde la place.

Là, arrêté face à hôtel, le motard regarde, immobile.

109 – Magasin de l’hôtel. Intérieur. Jour.

Marc, dans un magasin de vêtements, achète une robe pour Julie. Julie, heureuse, hésite entre plusieurs modèles avant d’en choisir une qui lui plaise.

110 – Salle à manger de l’hôtel. Intérieur. Soir.

Julie, vêtue de sa nouvelle robe, manifestement ravie, dîne avec Marc dans la grande salle à manger luxueuse de l’hôtel. Elle regarde autour d’elle, impressionnée, mais heureuse.

Parmi les clients, se trouve un couple avec une petite fille d’environ son âge. Julie les regarde longuement, puis se tourne vers son père

JULIE

C’est vrai que vous allez divorcer ?

MARC

Qui t’a dit ça ?

JULIE

Mamie.

MARC

Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?

JULIE

Moi je vous aime tous les deux. On était bien tous les trois, avant …

MARC

C’est vrai. Mais tu sais, j’ai eu un moment difficile.

JULIE

Pourquoi ?

Marc la regarde sans répondre

JULIE

Je suis grande maintenant. Je peux comprendre, tu sais.

MARC

J’en suis sûr. Mais c’est moi qui ai du mal à comprendre.

Julie le regarde à son tour, fixement

MARC

J’ai eu des doutes … Je n’étais plus sûr de ma peinture, de mon travail … et ta maman supportait mal de me voir comme ça.

JULIE

Mais maintenant que ta peinture est bonne, tout ça c’est fini.

MARC

Pas tout à fait … Mais peut-être que … Tu sais, c’est très compliqué les grandes personnes.

Julie le regarde et répond à son sourire.

111 – Chambre. Intérieur. Nuit.

Julie somnole devant la télévision, tout en mangeant des chocolats.

Marc, immobile sur le lit d’à côté, rêveur, regarde sans voir l’émission de télévision.

112 – Amsterdam. Extérieur. Jour.

Marc et Julie font du vélo dans les rues. Julie est ravie, heureuse.

Marc regarde régulièrement autour de lui pour voir s’il n’aperçoit pas le motard et sursaute à chaque bruit de moto.

Mais brusquement Marc est ébloui par un flash. Il sursaute, zigzague et s’arrête, inquiet, regardant autour de lui. Nouveau flash et il aperçoit le photographe qui avait pris les photos lors de l’interview avec Edith.

Marc, furieux, se retourne et s’aperçoit que Julie n’est plus là. Il regarde autour de lui, inquiet, mais ne la voit nulle part.

Il remonte sur son vélo et s’approche du photographe

MARC

Où est ma fille ?

PHOTOGRAPHE
Là-bas, avec Edith.

Et, regardant dans la direction indiquée, il aperçoit Julie riant avec Edith.

Furieux, il s’approche d’elle

MARC

Qu’est-ce que tu fais là ?

EDITH

Je fais connaissance avec ta fille. Je la trouve charmante.

Le photographe arrive et les prend en photo, à la grande joie de Julie qui pose avec plaisir.

MARC

Laisse-nous tranquille.

EDITH

L’artiste dans la vie familiale. C’est super comme article. Tu verras, je suis sûre que ça plaira beaucoup.

MARC

Il n’en est pas question. Ma vie familiale ne te regarde pas.

EDITH

Détrompe-toi, Marc. La notoriété a aussi des devoirs.

MARC

Tu crois pas que tu en as déjà assez fait. J’avais confiance et …

Mais il s’interrompt brusquement, apercevant le motard qui roule lentement sur l’autre rive du canal, les regardant.

Marc prend alors brutalement Julie par le bras, en disant

MARC

Allez, viens Julie, on s’en va.

JULIE

Mais papa, je trouve ça amusant moi.

MARC

Moi non.

Il monte sur son vélo et se tournant encore une fois vers sa fille

MARC
Julie !

A contre cœur Julie monte sur son vélo et part à la suite de son père, laissant Edith et le photographe déçus.

Julie, en vélo, vient se placer à côté de son père

JULIE
Pourquoi tu voulais pas qu’on nous photographie ?

MARC

Tu sais, il y a des moments où il vaut mieux que les gens ne sachent pas qui tu es.

JULIE

Mais tu es célèbre !

MARC

Non, je veux que mes tableaux soient célèbres, mais pas moi et encore moins ma famille.

JULIE

Dommage, moi j’aimerais bien voir ma photo dans un journal.

MARC, souriant

Pour épater tes copines ?

JULIE

Pas seulement.

Et elle accélère brusquement, obligeant Marc à la suivre.

113 – Autoroute. Intérieur voiture. Jour.

Marc conduit pendant que Julie somnole.

Brusquement une grosse moto noire fait un appel de phare, et le double à toute allure.

Marc figé, regarde la grosse moto s’éloigner rapidement.

114 – Rue Lyon. Extérieur. Soir.

Marc se gare devant chez Anne et réveille tendrement Julie qui dort à ses côtés.

JULIE

On est déjà arrivé ?

MARC

Oui, et dépêche-toi, car ta maman doit t’attendre avec impatience.

JULIE

Tu ne montes pas avec moi ?

MARC

Non, j’ai encore beaucoup de choses à faire.

Julie sort de la voiture, prend sa valise et embrasse son père qui est aussi sorti de la voiture pour lui dire au revoir.

JULIE

On recommencera, hein ?

MARC

Bien sûr, ma chérie.

JULIE

Merci pour la robe.

Elle part en courant vers l’immeuble, se retourne avant d’entrer et revient en courant vers son père.

JULIE

Tu vas aller vivre à Amsterdam ?

MARC

Je ne sais pas encore.

JULIE

J’aimerai bien y aller moi aussi … avec maman.

Elle fait un petit geste à son père, repart en courant et disparaît dans l’immeuble.

Marc remonte dans sa voiture et démarre.

115 – Impasse. Extérieur. Soir.

Marc entre dans l’impasse et s’approche de l’atelier de Jean devant lequel sa moto est garée. Marc regarde la moto, perplexe.

Jean l’aperçoit et sort de chez lui

JEAN

Ah tu es rentré ?

MARC

Je vois que tu as récupéré ta moto.

JEAN

Oui c’était pas grand chose. Des réglages, rien de plus.

MARC

Tu devais en avoir assez de marcher à pied.

JEAN

Penses-tu. Le garagiste m’en avait prêté une autre. Un vrai bolide.

Et devant le regard de Marc, il enchaîne

JEAN

Mais rassure-toi. Je préfère celle-là.

Marc contourne la moto et découvre un casque intégral, identique à celui qu’avait le motard qui l’a suivi, accroché sur le côté de la moto. Il regarde le casque et brusquement se tourne vers Jean, l’attrape par le col de sa chemise, et le pousse brutalement contre le mur.

MARC

Espèce de salaud !

Jean, un peu groggy, ne comprend pas ce qui se passe. Mais, plus fort que Marc, il se dégage nerveusement et repousse brutalement Marc

JEAN

T’as bu ou quoi ?

Marc, furieux, s’éloigne à grands pas et entre dans son Loft en claquant la porte derrière lui.

Jean le regarde, perplexe.

116 – Loft. Intérieur. Soir.

Marc, furieux, donne de grands coups de poing contre un mur

MARC

Merde, merde, merde !

117 – Garage Moto. Intérieur. Jour.

Marc est dans le garage où Jean a acheté sa moto. Il regarde les motos, cherchant la grosse moto noire du motard qui le poursuit.

Mais aucune ne correspond.

Le vendeur s’approche alors de lui

VENDEUR
Bonjour Monsieur. Puis-je vous aider ?

MARC

Bonjour. Oui, je suis un ami de Monsieur Valter, Jean Valter qui vous a acheté une moto il n’y a pas très longtemps …

VENDEUR

Mais oui, je me souviens. Vous étiez venu avec lui quand il l’a achetée.

Marc hoche la tête affirmativement

MARC

Oui, et il m’a dit que pendant les révisions que vous avez faites sur sa machine vous lui en aviez prêté une autre …. Un vrai bolide parait-il.

VENDEUR

Pourquoi ? Cette machine vous intéresse ?

MARC

Je ne sais pas encore. Peut-être.

Tout heureux le vendeur entraîne Marc dans un coin du garage, et lui montre une magnifique moto rouge.

VENDEUR

Regardez, elle est belle, non ?

Manifestement déçu, Marc regarde fixement la moto.

118 – Rue devant le garage. Extérieur. Jour.

Marc sort du garage et ouvre la porte de sa voiture. Au moment de s’installer au volant, il aperçoit le motard qui, assis sur sa moto arrêtée, le regarde.

Marc hésite, puis monte dans sa voiture, démarre et fonce sur le motard.

Surpris, celui-ci essaie nerveusement de mettre sa moto en marche, cale, recommence et arrive à démarrer au moment où Marc arrive sur lui, mais freine au dernier moment, évitant ainsi la moto et lui donnant la possibilité de démarrer. Mais dans son affolement, le motard perd le contrôle de son véhicule, percute une voiture en stationnement, et va s’écraser, après un vol plané, dans l’étalage d’une boutique de fruits et légumes.

Marc sort de sa voiture en catastrophe et se précipite vers la boutique où le motard gît, inanimé, sur le sol.

Plusieurs personnes se sont précipitées vers le motard inconscient, et un homme repousse les gens en hurlant

L’HOMME

Ne le touchez pas, ne le touchez pas. Une ambulance arrive.

Marc se joint aux badauds et regarde le motard, toujours casqué, inconscient au milieu des fruits et légumes.


L’ambulance arrive et des brancardiers et un médecin se précipitent, pendant que des policiers font reculer les badauds.

Le médecin, après avoir rapidement ausculté le motard, enlève doucement le casque.

Marc, tendu, le regarde, curieux de découvrir le visage de son agresseur. Et il pousse un cri de surprise en découvrant qu’il s’agit d’Anne. Et, bousculant les policiers il se précipite vers Anne en criant

MARC

Laissez-moi passer, c’est ma femme …

Marc attrape le bras du médecin, pendant que les brancardiers emportent Anne dans l’ambulance

MARC

Qu’est-ce qu’elle a ? C’est grave ?

MEDECIN
A priori, elle n’a rien de cassé. Mais elle est en état de choc et nous allons lui faire des radios.

Et le médecin monte dans l’ambulance qui démarre à toute allure, pendant que Marc court dans sa voiture et part à la suite de l’ambulance.

119 – Hall d’hôpital. Intérieur. Jour.

Marc marche de long en large dans le hall de l’hôpital. Un médecin arrive et Marc se précipite vers lui

MARC

Alors ?

MEDECIN

Elle a un fort traumatisme crânien.

MARC, inquiet

Et ?

MEDECIN

Tout dépend de la façon dont elle va réagir dans les heures qui viennent. Il faut attendre, mais j’ai bon espoir.

Marc hoche la tête, soulagé.

MARC

Je peux la voir ?

MEDECIN
Oui, mais ne restez pas trop longtemps. On vient de lui donner des somnifères et elle ne va pas tarder à s’endormir.

Marc va se précipiter vers la chambre d’où sort de médecin, mais celui enchaîne

MEDECIN

Un conseil, dans l’avenir, ne la laissez pas conduire une moto aussi puissante.

Marc regarde le médecin, hoche la tête et entre dans la chambre.

120 – Chambre d’hôpital. Intérieur. Jour.

Anne, allongée sur un lit, regarde Marc entrer et venir s’asseoir à côté d’elle.

Anne le regarde et esquisse un sourire triste

ANNE

C’est bête, non ?

Marc hoche la tête et ils se regardent tous les deux en silence.

Puis,

MARC

C’est à toi cette moto ?

ANNE

Non, à Pierre, mon prof de gym.

MARC

Donc c’était toi … Je peux savoir pourquoi ?

ANNE

Je n’ai jamais cru à ton histoire de collectionneur. Je voulais comprendre. C’est pour ça que je t’ai envoyé ce soi-disant ami de ton libanais et que j’ai fouillé ton Loft en ton absence.

Marc blêmit

MARC

Et ? …

ANNE

J’ai compris que je t’avais mal jugé.

Marc la regarde, sans comprendre

ANNE

J’ignore qui est ce type, ce collectionneur comme tu l’appelles, mais te faire retravailler tes anciennes toiles est une idée de génie.

Elle le regarde, esquisse un timide sourire,

ANNE

Tu sais, je m’en veux de ne pas t’avoir donné assez de confiance en toi quand …

Anne s’interrompt, cherchant ses mots. Marc la regarde, sans répondre.

Mais Anne se ressaisit et continue en se forçant “ au cynisme ”

ANNE

Par contre, je n’accepterai pas que, maintenant que la chance te sourit, tu m’enlèves Julie.

MARC

Je n’ai jamais voulu ça !

ANNE

Parce que la façon dont tu la gâtes, tu penses que ça ne la trouble pas.

MARC

Mais je ne cherche pas à acheter l’amour de ma fille.

ANNE

On ne dirait pas, pourtant.

Marc regarde Anne, ne sachant que répondre. Puis,

MARC

Ton prof de gym, c’est sérieux ?

ANNE

Mon prof de gym ? ???

MARC

Tu l’aimes.

ANNE

Mais qu’est-ce que tu racontes.

MARC

Je t’ai vu partir avec lui, un soir.

ANNE, se forçant à sourire

Tu es jaloux ? ….

Mais devant la tête de Marc, elle enchaîne

ANNE

Il habite tout près de la maison, et, l’autre soir, sa moto était en panne.

Marc et Anne se regardent, se sourient …

ANNE

Cette semaine, il devait aider sa mère à déménager car elle va s’installer en province. Alors je lui ai prêté ma voiture et en échange il m’a laissé sa moto …

Marc hoche la tête, confus

MARC

Je m’excuse …

Mais Anne pose rapidement un doigt sur sa bouche et lui faisant signe de se taire.

Puis, complice, avec un sourire,

ANNE

Moi aussi j’ai été bête …

Marc sourit, prend sa main et l’embrasse.

ANNE

J’aurais jamais cru que tu sois capable de me foncer dessus … Tu as changé, Marc … et en bien.

Ils se regardent tous les deux en silence.

Puis Marc se penche sur elle, l’embrasse

MARC

Guéris vite.

121 – Sortie d’école. Extérieur. Jour.

Julie sort de l’école avec ses camarades et aperçoit Marc. Elle se précipite vers lui.

JULIE

Papa.

Marc la prend dans ses bras, l’embrasse et la gardant serrée dans ses bras

MARC

Ta maman a eu un accident. Elle doit rester quelques jours à l’hôpital.

Julie regarde son père fixement, au bord des larmes.

MARC

J’ai appelé ta grand mère. Elle va venir s’installer à la maison, en attendant le retour de ta maman.

JULIE

Pourquoi tu restes pas avec moi ?

MARC

Je viendrai te voir très souvent ne t’inquiète pas.

JULIE

Mais pour maman, dis, c’est pas trop grave ?

MARC

Non, je crois pas.

122 – Hôpital. Intérieur. Jour.

Marc regarde par la porte vitrée Anne dormir dans son lit. Le médecin arrive

MEDECIN
Vous ne devriez pas rester là. Elle va dormir pendant au moins vingt quatre heures.

Marc hoche la tête, sans répondre.

123 – Atelier Jean. Intérieur. Jour.

Marc et Jean sont installés dans l’atelier de Jean, buvant une bonne bouteille de vin.

JEAN

Je ne sais pas ce qui t’a pris mais, grâce à cette bonne bouteille, j’accepte d’oublier ton moment de folie. Mais je ne te conseille pas de recommencer.

Marc sourit en silence, boit une gorgée,

MARC

Je me suis trompé.

JEAN

C’est facile comme excuse.

Jean se ressert à boire, et,

JEAN, curieux

C’est à cause de ton collectionneur ?

MARC

C’est un peu ça.

JEAN, compatissant

Il te laisse tomber, c’est ça ?

MARC

Je crois qu’il se passionne pour d’autres artistes.

Jean hoche la tête, compatissant.

JEAN

C’est dommage. Mais au moins il aura réussi à te faire réagir …. Tu sais, tout à l’heure, j’ai vraiment cru que tu voulais me casser la gueule.

MARC

C’est ce que je voulais.

JEAN riant

T’as encore des progrès à faire, mais c’est un bon début….Ah, j’ai oublié de te dire, Anne m’a proposé d’exposer dans sa rétrospective.

Marc regarde Jean, étonné. Mais sans le remarquer, Jean enchaîne

JEAN

Peut-être que ma chance va tourner aussi.

MARC

Chacun son tour.

JEAN

Comme ça je pourrai te rembourser, parce que le loto… Au fait, tu sais pas, le voleur s’est fait descendre.

MARC

Le voleur ? Celui de la recette du loto ?

JEAN

Oui. La police a essayé de l’appréhender, mais il a tiré sur les policiers. Ils ont riposté et ne l’ont pas raté… Un mauvais feuilleton télé, quoi ?

MARC

Et le fric, ils l’ont retrouvé ?

JEAN

Non, justement … Enfin, c’est ce qu’ils disent, mais il paraît qu’ils s’en fichent.

MARC

Pourquoi ?

JEAN

D’après ce que j’ai compris, ils ont transmis le dossier au fisc. Il paraît que c’est comme ça qu’ils retrouvent toujours les voleurs.

Marc le regarde, pensif.

Puis, brusquement

MARC

Anne est à l’hôpital, elle a eu un accident.

JEAN
Anne, pourquoi tu me l’a pas dit ?

MARC

Je sais pas. J’ai pas envie d’en parler.

JEAN

C’est grave ?

MARC

Fort traumatisme crânien.

JEAN

Mais comment elle s’est fait ça ?

MARC

Une chute en moto.

JEAN
La petite cachottière. Elle ne m’avait jamais dit qu’elle avait une moto.

MARC

A moi non plus.

124 – Hôpital. Intérieur. Jour.

Marc entre dans la chambre où Anne est allongée. En le voyant entrer, elle lève la tête et esquisse un sourire.

Marc l’embrasse et s’assied à côté d’elle.

MARC

Tu vas mieux ?

ANNE

J’ai très mal à la tête, par moment …

Et, en plaisantant, elle enchaîne avec un sourire

ANNE

J’espère que c’est suffisant pour te culpabiliser.

MARC

Tu es sûre que ce n’est pas grave.

ANNE

Le docteur pense que ça va s’arranger, mais il veut me garder encore quelques jours.

Marc la regarde, sourit.

Anne répond à son sourire, puis

ANNE

Et toi, comment tu vas ?

MARC

Mieux. J’avais besoin de me retrouver.

ANNE

Je sais. Moi aussi du reste. Mais moi je n’ai pas trouvé de “collectionneur”.

MARC

Mais les collectionneurs et les artistes ont besoin des galeries d’Art.

Anne le regarde fixement, puis hoche la tête

Et  brusquement elle enchaîne

ANNE

Fais attention, Marc. Tu as du talent, mais tu ne supportes pas la facilité. Ne te laisse pas aller, comme après notre mariage.

MARC

Je te promets. Justement, je dois retourner à Amsterdam, mais après je me réinstalle à la maison.

Anne, immobile, la regarde en silence.

125. Impasse. Extérieur. Jour.

Marc sort de son loft des tableaux nouvellement peints et les range dans sa voiture.

Jean le rejoint

JEAN

Tu veux que je t’aide ?

MARC

Non merci. J’ai presque fini.

Jean le regarde, mal à l’aise, puis

JEAN

Tu ne m’en veux pas d’avoir douté de toi et ouvert ton atelier à Anne.

MARC

C’est fini, tout ça. De toutes les façons on va revivre ensemble.

JEAN

Tant mieux.

Il regarde Marc, rêveur, puis changeant de ton

JEAN

Au fait, je voulais te dire, je ne serai probablement plus là quand tu reviendras.

MARC

Qu’est-ce que tu veux dire ?

JEAN
Grâce à sa maquette, Lisa vient de signer un contrat en Amérique latine. Et je pars avec elle.

MARC

Pour longtemps ?

JEAN

Je ne sais pas. Ça dépendra.

MARC

De quoi ?

JEAN, riant

Du loto.

Marc le regarde, et sourit amusé.

JEAN, redevenu sérieux

Tu sais, je voulais aussi te remercier.

MARC, surpris

Me remercier ?

JEAN

Oui, d’avoir acheté ma sculpture.

Marc le regarde sans comprendre.

JEAN

Anne m’a montré le journal des galeries. C’est vrai que ma sculpture va bien dans ton nouvel atelier.

Marc, surpris, le regarde en silence, ne sachant que penser.

Puis, brusquement

MARC

Il faut que j’y aille.

Il monte dans sa voiture. Jean se penche vers lui

JEAN

Tu comprends, maintenant que tu es célèbre tu n’as plus besoin de moi, et moi aussi j’ai envie de changer de vie.

Marc hoche la tête, et démarre rapidement, suivi du regard ironique de Jean.

126 – Galerie Amsterdam. Intérieur. Jour.

Marc apporte des nouvelles toiles dans la galerie

PROPRIÉTAIRE

Je vous attendais avec impatience. J’ai plusieurs clients qui me réclament vos nouvelles œuvres.

Le propriétaire regarde, satisfait, les peintures que lui apporte Marc

PROPRIÉTAIRE

Au fait, et votre collectionneur, j’espère que vous ne lui vendez pas vos peintures directement.

MARC

Il est en voyage et je ne sais pas quand il reviendra.

Il hoche la tête en regardant Marc.

Le propriétaire prend alors un chèque posé sur son bureau, et le tend à Marc

PROPRIÉTAIRE

Tenez.

Marc prend le chèque, le regarde et regarde le propriétaire, étonné

PROPRIÉTAIRE, inquiet

Un problème ?

MARC

Je sais pas. Vous êtes sûr que vous ne vous êtes pas trompé ?

PROPRIÉTAIRE

Absolument. J’ai déduit mes 30%, et je vous donne le reste.

Et devant le regard toujours étonné de Marc, il enchaîne avec un sourire

PROPRIÉTAIRE

Oui, c’est une belle somme. Mais vos œuvres ont beaucoup augmenté ces derniers temps. Et ce n’est qu’un début.

Marc le regarde, sans réaction.

127 – Bureaux du Journal d’Edith. Intérieur. Jour.

Marc entre dans l’immeuble et se dirige vers le bureau où travaille Edith. Il frappe à la porte et entre

Edith est en train d’écrire sur un ordinateur. Elle lève la tête, le voit,

EDITH
Je croyais que tu ne voulais plus me voir.

MARC

Moi aussi … Mais je te dois un bon dîner.

EDITH

Chez toi ?

MARC

Non, au restaurant.

Ils se regardent, rient.

128 – Restaurant. Intérieur. Soir.

Marc et Edith sont à table.

EDITH

Je regrette pour les photos de ton atelier. Mais je les avais prises … avant que … enfin tu comprends, et il était trop tard pour annuler l’article.

MARC

Tu aurais dû me le dire.

EDITH

Je sais … Mais je suis une journaliste et j’aime mon métier.

MARC

Je comprends.

EDITH

En tout les cas, cet article a fait mouche parce que, cet après midi, le journal a eu la visite d’un collectionneur qui cherchait à te contacter.

MARC, brusquement inquiet

Un collectionneur, tu es sûre ?

EDITH

Ça arrive souvent tu sais, que les collectionneurs nous contactent pour avoir l’adresse des artistes sur lesquels nous faisons des articles.

MARC

Il était comment ce soit disant collectionneur ?

EDITH
Pourquoi soi-disant ? Tu es célèbre maintenant. De toutes les façons, je ne sais pas, c’est une secrétaire qui s’est occupée de lui.

MARC
Tu pourras te renseigner ?

EDITH
Si ça te fait plaisir …

Elle le regarde un moment en silence, puis

EDITH
Ta fille est superbe.

MARC

Je trouve aussi.

EDITH

J’aimerai rester ton amie.

MARC

Mais tu l’es.

EDITH

Non, plus tard. Quand tu seras à nouveau avec ta femme. Je suis sûre qu’on pourra être amies toutes les deux.

Marc la regarde, étonné

EDITH

Que veux-tu, privilège de femme ! On a appris à partager, même sans les harems.

Marc la regarde, sourit tendrement.

129. Bord du canal. Extérieur. Nuit.

Marc et Edith marchent lentement au bord du canal, puis s’arrêtent devant une maison.

EDITH
Voilà, c’est chez moi. Tu veux monter ?

MARC

Merci, non. Je repars demain matin à Lyon et j’ai encore pas mal de travail à finir cette nuit…. Et puis, j’ai fait assez de bêtises comme ça.

EDITH

Dommage.

Elle l’embrasse rapidement sur la bouche et entre dans sa maison.
Marc la regarde entrer en souriant, répond à son geste d’au revoir, puis fait demi tour et se dirige vers son Triplex.

130 – Triplex. Intérieur. Nuit.

Marc arrive devant la porte de son Triplex, sort ses clefs, mais au moment d’ouvrir la porte, il se fige en constatant que sa porte a été forcée.

Il entre rapidement dans son Triplex et regarde autour de lui. Tout semble normal, rien ne manque ni n’a été touché.

Marc se précipite alors vers la sculpture “femme-coffre” de Jean, et fait jouer le mécanisme pour l’ouvrir. Et il se fige en constatant que ses chaussettes sont là, mais vides de tout billet de banque, et, posé bien en évidence, deux mille Euros et un billet de loto.

Marc donne un grand coup rageur dans la sculpture qui tombe de son socle, puis il éclate de rire

MARC

Le salaud !

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