Le Légiste

Confortablement installé sur mon canapé, je bois un verre de vin blanc quand le téléphone sonne. Sans prendre la peine de décrocher, je laisse le répondeur prendre le message à ma place et me félicite de ma réaction en entendant la voix de ma mère.

-« Pierre, c’est moi. Réponds s’il te plaît … Bon, comme il semble que tu es effectivement  absent, rappelle-moi. Je voudrais te parler du dîner que j’ai eu hier soir chez Madeleine.  Parmi les invités il y avait un de ses amis chirurgien qui vient d’ouvrir une clinique privée et qui cherche d’autres chirurgiens qualifiés. Je lui ai immédiatement parlé de toi et il souhaite te rencontrer. Va le voir, s’il te plaît. Tu ne peux pas rester indéfiniment légiste après que nous nous soyons sacrifiés ton père et moi pour te payer tes études. »

D’un geste mécanique, j’appuie sur la touche effacement et mon répondeur est à nouveau vide. Puis, tranquillement, je continue à siroter mon verre de vin blanc.

Légiste. Mot péjoratif pour beaucoup de gens qui ne voient en moi qu’un « dépeceur de cadavres. » Et pourtant, combien de meurtres, sans moi, resteraient impunis.

La nouvelle affaire qui nous occupe actuellement est une suite de cadavres de femmes d’une trentaine d’années mortes avant d’être faussement étranglées et dont les corps ont été déposés aux pieds de statues. Il y a d’abord eu Catherine de Médicis, puis Louis XIV et, pour la dernière en date, Napoléon I°, car nous avons pris l’habitude d’appeler les victimes par le nom de la sculpture où elles sont déposées.

Je n’ai pas encore eu le temps d’étudier le cadavre de Napoléon I°, que  nous n’avons reçu qu’en fin de journée, mais tous les trois présentent les mêmes caractéristiques : défigurées, les mains brûlées à l’acide et les dents brisées à coup de pierre pour éviter que l’on puisse les identifier.

Et comme aucune des deux premières n’est fichée, même les tests ADN ne servent à rien, comme j’imagine pour la troisième. Tout cela laisse penser à un même tueur, mais pourquoi cette mise en scène ?

Le commissaire est très énervé par cette nouvelle affaire et même Claire, la psy, attachée à notre commissariat, reste muette, n’arrivant pas à définir avec précision un profil valable de l’assassin, malgré le choix des statues représentants toutes  des personnages historiques responsables de massacre.

Hier soir, au moment où je finissais de ranger la salle d’autopsie, la psy est venue me voir pour me suggérer de comparer attentivement les analyses de sang des victimes actuellement en notre possession, au cas où il existerait les traces d’un élément inconnu mais commun aux trois cadavres, même en quantité infime, ce qui, d’après elle, justifierait le maquillage en crimes de ces morts inexpliquées

Je l’ai regardé énervé,

-« Vous pensez que je ne fais mon travail correctement ? »

-« Ce n’est pas ce que je voulais dire

-« Pourquoi dites-vous ça alors ? »

-« J’ai déjà eu affaire à un cas semblable. Vous avez, les dealers sont prêts à tout pour tester de nouvelles drogues, même si cela doit décimer des populations. »

J’ai hoché la tête, avant de répondre

-« Vous avez peut-être raison. Mais comme les analyses des deux premières victimes me paraissaient normales, je n’ai pas pris la peine de les comparer entre elles. » 

Et après un silence j’ai ajouté,

-« Quant à Napoléon I°, que nous venons tout juste de recevoir, je n’ai pas eu le temps d’examiner son corps attentivement, hors les traces d’étranglement et les mains brulées qui justifiaient de la situer dans cette série de meurtres. »

Elle a hoché la tête en souriant

-« Vous savez, je ne mets pas en cause votre travail. Au contraire. Mais comme j’ai déjà connu un cas identique, j’ai cru bon de vous en informer. »

Après son départ je suis resté rêveur, reconnaissant que les analyses de sang des deux premières victimes m’avaient parues normales, et c’est pour ça que je n’avais pas pris la peine de les comparer. Mais, comme il était déjà très tard et que j’avais déjà passé ma journée à étudier les premiers cadavres, je décidais de remettre à demain matin des analyses plus approfondies sur Napoléon I° pour les comparer  aux autres.

Donc, ce matin, en arrivant au commissariat, je me penche sur le corps de Napoléon I° pour l’analyser plus détail. Et là, avec horreur, je remarque immédiatement sur son cou, juste en dessous de son oreille, le tatouage en couleur d’une petite marguerite.

Marguerite !

Nous avions fait nos études de médecine ensemble et c’est moi qui lui avais choisi ce tatouage de fleur dont elle portait le nom.

Nous avions vécu ensemble plusieurs mois mais elle souhaitait d’abord partir à l’étranger pour travailler dans une O.N.G, car, depuis le divorce de ses parents elle ne supportait plus « l’insouciance européenne ». Elle voulait s’engager, se consacrer à une vraie cause humanitaire, plutôt que de vivre un train-train confortable mais sans avenir.

-« Tu comprends, me disait-elle, notre vocation est de nous occuper des défavorisés, pas de nous engraisser à soigner les petits bobos des bourgeois de notre société. »

Et, après un silence, elle ajoutait d’une voix triste,

-« Je ne veux pas reproduire les erreurs de mes parents »

Sur le moment je ne l’ai pas comprise, j’ai souffert, mais, après son départ, je suis devenu légiste pour être, à ma façon, utile à la société.

Bien entendu je n’en parle ni au commissaire ni à la psy, mais je veux savoir, comprendre pourquoi et comment Marguerite se retrouve aux pieds de Napoléon I° et quel rapport il peut y avoir avec les autres victimes.

Aussi je décide de mener tout seul ma propre enquête.

Mais par où commencer ?

L’hôpital où nous avions  fait notre internat avant que nos voies ne se séparent me paraît être le plus judicieux. Là, c’est facile. Une infirmière est encore en poste et se souvient très bien de nous, les « amoureux » comme elle nous appelait. Et elle ne peut s’empêcher d’ajouter qu’elle a regretté notre séparation car elle trouvait que nous formions un beau couple. Dire que je suis insensible à son souvenir est faux car je n’ai jamais oublié ma petite fleur comme je l’appelais. Mais la vie est ainsi faite et ces moments de bonheur ont été suivis par un sentiment d’échec que je me reproche aujourd’hui encore.

Mais je suis là pour m’informer et l’infirmière m’avoue être restée en contact avec Marguerite quand elle s’est engagée dans cette O.N.G. qui l’a envoyée sur le continent Africain pour soigner des enfants mal nourris, inaptes à supporter des maux que l’on considère dans nos pays comme bénins. Elle ajoute aussi, qu’aux dernières nouvelles, Marguerite l’informait qu’elle avait été rapatriée dans une clinique pour être soignée d’un mystérieux virus qu’elle avait, comme les autres médecins, attrapé.

Mais l’infirmière ne se souvenait ni du pays où elle avait été envoyée, ni de l’O.N.G. où elle s’était engagée, ni même de la fameuse clinique qui, d’après sa lettre, dépendait directement de l’armée.

Et, ajoute-elle

-« Je suis très heureuse de vous revoir, car, dans  toutes ses lettres, Marguerite me demandait de vos nouvelles. Mais comme je n’avais pas votre adresse je n’ai pas pu le faire mais je les ai gardées, au cas où. »

Evidement je lui transmets immédiatement ma nouvelle adresse en lui précisant également que je repasserai la voir à l’hôpital pour rester moi aussi en contact avec elle.

J’hésite à informer le commissaire de ma découverte, bien que je sois conscient qu’il aura plus facilement que moi la possibilité d’avoir des réponses à mes questions, mais cela concerne mon passé, mon intimité, et je décide donc de continuer seul mes recherches.

D’abord trouver l’O.N.G. qui a employé Marguerite. Cela remonte à dix ans exactement puisque c’est le jour de son anniversaire qu’elle me l’avait annoncé, m’expliquant que cela ne remettait pas en cause son amour pour moi, mais qu’elle devait le faire pour elle-même. Et, peut-être qu’à son retour …

Je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles que je l’ai attendue et l’attends encore comme me le reproche ma mère.

Pourtant, jamais je n’aurais imaginé la retrouver sur ma table d’autopsie. Mais, même là, je l’aime encore. Et cet amour m’oblige à limiter mon autopsie à ce que j’ai déjà constaté sur les autres victimes : « étranglement pratiqué après la mort, sans autre signe de violence hors ceux destinés à rendre son corps inidentifiable ».

Pour retrouver l’O.N.G. qui a recruté Marguerite, je parcours rapidement les offres d’emploi concernant les médecins susceptibles de s’engager dans une cause humanitaire, mais aucune d’elles n’existaient il y a dix ans. Je consulte alors les ordinateurs de la police pour approfondir mes recherches mais je suis rapidement convoqué par le commissaire qui, d’une voix attristée, me demande

-« Vous voulez nous quitter ? »

Surpris je le regarde avant de répondre

-« Non. Pourquoi ? 

Sans répondre il continue de téter son cigarillo en me regardant fixement. Aussi j’ajoute

-« Vous êtes au courant de mes recherches sur les O.N.G. ?»

-« Oui. Un rapport avec les cadavres des statues ? »

Je ne réponds pas tout de suite, mais devant son sourire paternel, je ne peux m’empêcher de lui avouer la vérité.

Il me regarde, hoche la tête, avant de répondre

-« Laissez-moi m’en occuper. Venant de ma part cela paraîtra plus crédible. »

Et après un silence, il ajoute à son tour,

-« Bien entendu cela reste entre nous. »

Je hoche la tête, souriant.

En attendant de ses nouvelles et ne pouvant me résoudre à autopsier Marguerite je me penche sur les copies de mes notes concernant les autres cadavres, puisque j’ai déjà remis les originaux au commissaire. Mais rien de nouveau n’attire mon attention, si ce n’est le choix des sculptures.

Catherine de Médicis, Louis XIV, et en dernier Napoléon I°. Des ambitieux responsables de milliers de morts, soi-disant pour le bien de la Nation. Mais quel rapport avec Marguerite, une jeune femme douce et respectueuse de la vie des autres au point de sacrifier la sienne ?

Je dors mal cette nuit, me reprochant de l’avoir laissée s’engager dans cette aventure qui l’a entrainée loin de moi. A moi maintenant de trouver ce qui lui est arrivé et de la venger.

Ce matin en arrivant au commissariat, le planton de service m’informe que le commissaire veut me voir de toute urgence. Je me présente donc dans son bureau, enfumé comme toujours par un de ces nauséabonds cigarillos qu’il a continuellement à la bouche.

Dés qu’il me voit, il m’informe qu’on va nous apporter un nouveau cadavre, déposé cette fois aux pieds de Charles de Gaulle. Et, sans attendre ma réponse, il ajoute, que les politiques, affolés par l’importance du personnage de cette dernière sculpture, viennent de nous mettre dans les pattes (c’est son terme) un Enarque qui va diriger l’enquête, ou plus certainement l’enterrer car sa hiérarchie n’aime pas la tournure que prend l’affaire. Et, comme je le pensais, il continue en affirmant que cela ne change rien à nos recherches et que je dois toujours l’informer en premier de mes conclusions, même si « l’Enarque » me soutiendra du contraire.

Puis, calmement, il me conseille d’étudier et de cacher le corps de Marguerite avant l’arrivée de l’Enarque car il craint que la première action de celui-ci soit faire détruire tous les cadavres encore en notre possession.

En salle d’autopsie je fais rapidement une prise de sang du cadavre de Marguerite, et constate que là aussi tout paraît normal. Je retourne donc le voir pour lui confirmer qu’à première vue Marguerite présente bien les mêmes caractéristiques que les autres cadavres, et que je l’étudierai plus attentivement en fin de journée.

Avec un haussement d’épaules affirmatif, tout en allumant un nouveau cigarillo, il me demande de réfléchir à la possibilité que ces différents morts ne soient pas destinés à en cacher un seul, trop facilement identifiable autrement. Et il ne peut s’empêcher d’ajouter qu’il craint que la véritable victime ne fasse peut-être pas encore partie de nos cadavres.

Mais il est interrompu par un appel téléphonique et, après avoir brièvement, répondu, me dit

-« On vient de me signaler la livraison imminente du cadavre déposé aux pieds de Charles de Gaulle. Cachez bien celui de Marguerite. Vous pourrez ainsi lui organiser un enterrement digne d’elle, car je crains que l’Enarque ne nous l’enlève, comme celui de Charles de Gaulle du reste avant que vous ne puissiez l’étudier correctement. »

Bien entendu ce nouveau meurtre ne plaît pas à notre psy qui considère que le personnage représenté par cette statue est trop actuel pour avoir un sens dans la chronologie historique des autres sculptures, ni même dans l’importance des massacres qui ont eu lieu durant ses années de pouvoir, guerre d’Algérie comprise, et que ce choix n’est destiné qu’à faire réagir les politiques.

Dés mon arrivée en salle d’autopsie, et après avoir eu le temps  de  dissimuler le corps de Marguerite et de changer le nom des prélèvements de sang pour qu’on ne puisse pas les identifier, je reçois le cadavre annoncé par le commissaire, celui de Charles de Gaulle. Immédiatement je constate que ce meurtre présente les mêmes caractéristiques que les premiers.

Mais, avant que je ne puisse étudier plus en détail ce nouveau cadavre,  l’Enarque, vêtu comme il se doit d’un traditionnel costume trois pièces, se présente à la morgue, accompagné de la psy. Et sans même s’assurer que ce nouveau corps présente les mêmes symptômes que les autres victimes, m’ordonne de le faire incinérer sans plus attendre, trouvant inutile de nous encombrer de ce cadavre puisque j’ai déjà eu la possibilité d’étudier ceux qui l’ont précédé.

Je trouve sa démarche surprenante et non professionnelle et je lui fais remarquer qu’il pourrait au moins attendre que je l’autopsie, même rapidement, de façon à m’assurer que sa mort présente effectivement les mêmes caractéristiques que celles des premières victimes. Devant ma réticence, il ajoute qu’il ne veut surtout pas que les journalistes soient informés de ce nouveau meurtre, ni des anciens bien sûr, et en profitent, une fois encore, pour dénigrer le travail de la police.

Surpris je demande

-« Le commissaire est au courant ? »

Mais il me répond sèchement

-« C’est moi qui dirige l’enquête maintenant. »

Perplexe  je regarde la psy qui hoche la tête en disant

-« Il a raison. »

L’Enarque se tourne alors vers moi et demande

-« Vous avez un double des autopsies des premières victimes ? »

Mais déjà la psy répond

-« Tout a été envoyé au commissaire qui m’en a transmis des doubles. »

-« Vous me donnerez ces doubles des analyses, s’il vous plait. »

Elle hoche la tête et repart avec lui.

Avant d’envoyer ce nouveau cadavre au crématorium, je prends le maximum d’informations (photos des blessures et prélèvements sanguins que je cache soigneusement parmi ceux déjà en ma possession).

Puis, par déontologie professionnelle, j’en informe le commissaire. Naturellement celui-ci entre dans une colère noire.

-« Je m’en doutais ! »

Et il m’ordonne, même s’il est lui aussi sous les ordres de l’Enarque, de l’informer de toutes ses demandes et de n’obéir à aucune d’elles sans son accord.

Puis, avec un clin d’œil, il ajoute

-« Vous avez eu le temps de cacher Napoléon I° ? »

Je hoche la tête pour confirmer et il répond par un sourire enfumé.

Mais déjà j’enchaîne

-« A ce sujet, est-ce que la psy sait que nous avons aussi ce cadavre ? »

-« Bien sûr, pourquoi ? »

-« Elle n’y a pas fait allusion devant l’Enarque. »

Il  hoche la tête avant de répondre

-« Elle a bien fait. »

Après avoir fait envoyer le cadavre de Charles de Gaulle au crématorium, sans oublier bien sûr de faire contresigner l’ordre de transfert par l’Enarque, je retourne dans la salle d’autopsie. Et là je m’occupe en mettant de l’ordre dans la salle d’autopsie et je ne peux que me féliciter de mon choix, quand, débarquant à l’improviste, j’ai la visite de l’Enarque pour me questionner une fois encore sur mes conclusions concernant les anciennes victimes dont le commissaire lui a transmis les dossiers. Bien entendu je confirme mes résultats.

Puis, comme s’il allait oublier, il ajoute

-« Vous n’avez fait  aucune prise de sang du corps que vous venez de faire incinérer ? »

Je confirme naturellement que j’ai obéi à ses ordres et envoyé directement le corps au crématorium, comme il a du reste signé le transfert à ma demande. Il hoche la tête, sourit, et repart aussi vite qu’il est venu, non sans m’annoncer que ces meurtres sont maintenant classés dans les affaires non résolues et qu’il me conseille de les oublier.

Dés son départ, je me précipite chez le commissaire qui, avant même que je n’ouvre la bouche, me dit

-« Je suis au courant. »

Puis, après avoir rejeté une nouvelle bouffée de son malodorant cigarillo, me tend sa carte de visite où sont écrits son adresse et son numéro de téléphone privé en disant

-« Je vous attends chez moi pour dîner vers 20 heures. »

Comme je le regarde sans comprendre, il ajoute avec un sourire,

-« Si êtes libre bien sûr. »

Je hoche la tête sans répondre.

-« Alors, à ce soir. »

Et il se replonge dans le dossier qu’il lisait à mon arrivée.

Je suis perplexe. Pourquoi cette invitation à dîner chez lui, comme si nous étions de vieux amis ? A-t-il des révélations à me faire sans témoin ?

Impatient je suis devant sa porte, une bonne bouteille de vin à la main, avec un quart d’heure d’avance et je me force à patienter en faisant le tour du pâté de maisons.

A l’heure pile, je sonne à sa porte et c’est lui qui vient m’ouvrir.

-« Quelle précision dans l’horaire. »

Puis, comme je lui tends la bouteille, il la prend avec un sourire

-« C’est gentil, mais ce n’était pas la peine. »

Il s’écarte pour me laisser entrer en disant

-« Venez, je vais vous présenter à ma femme. »

Sa femme, une femme souriante, un peu ronde, m’accueille chaleureusement comme si j’étais un vieil ami et m’entraîne dans leur salon en disant

-« Un peu de champagne vous conviendrait ? »

Je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil au commissaire qui hoche la tête en souriant.

Aussi, je réponds à son sourire en disant

-« Avec plaisir. »

-« Très bien. Installez-vous, j’arrive tout de suite. »

Je m’assieds donc sur le canapé à la place qu’elle m’a indiquée pendant que le commissaire s’affale (je crois que c’est le terme exact) dans un fauteuil usé qui est manifestement son siège habituel.

Mais déjà sa femme est de retour de la cuisine avec une bouteille champagne qu’elle lui tend pour qu’il l’ouvre.

-« Mon mari invite si rarement ses amis à dîner, que je suis ravie de vous  connaître. »

Et prenant la bouteille de champagne maintenant ouverte, tout en nous servant, elle continue

-« Vous travaillez avec lui, si j’ai bien compris. »

-« Oui. Je dépends de son commissariat. »

Heureuse que je mette en avant l’importance hiérarchique de son mari, elle  sourit. Et, reposant la bouteille entre les coupes maintenant remplies, les prend et nous les tend.

-« Et bien, à votre santé. »

Je lève ma coupe de champagne pour répondre à son geste, boit une  gorgée, et 

-« Il est délicieux. »

-« C’est mon frère qui nous le fournit. Il travaille à Reims dans la coopérative viticole la plus importante de la région. »

Je hoche la tête et savoure une nouvelle gorgée.

Le dîner se déroule dans une atmosphère amicale, surtout animée par les babillages chaleureux de la femme du commissaire qui, en plus, se révèle être une merveilleuse cuisinière.

Après une entrée composée de salade et de saumons fumés, elle nous sert un poulet rôti accompagné d’une garniture de petits légumes, puis nous apporte des fromages et, bien entendu, le gâteau qu’elle a cuisiné elle-même juste pour l’occasion.

J’avoue que je ne suis pas habitué à manger autant, surtout le soir, mais comment résister à sa joie de nous faire plaisir en honorant les amis de son mari.

Je la félicite chaleureusement et la remercie plusieurs fois pour ses talents de cuisinière. A son sourire, je comprends que rien ne peut lui faire plus plaisir, laissant entendre que cela la change de leurs dîners en tête-à-tête qui se passent souvent devant la télévision. Et, ne peut-elle s’empêcher d’ajouter, je dois reconnaître que souvent ces émissions ne sont ni variées ni attrayantes.

Je suis étonné du manque de réaction du commissaire, mais il se contente d’écouter et de  hocher la tête en souriant.

A la fin du repas, quand sa femme se lève pour débarrasser la table, il dit

-« Allons dans mon bureau. Je voudrais vous parler de mes recherches. »

Je hoche la tête en souriant, non sans avoir félicité une fois encore sa femme pour cet excellent dîner, et je le suis dans la pièce qu’il appelle « son bureau ».

Là il me désigne un confortable fauteuil avant de se dirigeant vers le bar

-« Un whisky ? »

-« Volontiers. »

Il me sert une large dose, se sert à son tour et vient s’asseoir, son verre à la main, dans le fauteuil en face du mien.

-« L’O-N-G a été fermée il y a huit ans, peu de temps après l’engagement de votre amie. Les médecins envoyés comme volontaires ont fait du très bon travail mais n’ont pas réussi à endiguer l’épidémie qu’elles étaient venu arrêter, puisque grâce à votre amie l’infirmière il est prouvé que tous nos cadavres sont d’anciens médecins ayant travaillé dans votre hôpital et volontaires comme votre amie pour aller travailler dans cette fameuse O-N-G. Mais, malgré leur efforts l’épidémie a continué à s’étendre, et elles se sont toutes retrouvées contaminées et ont été rapatriées »

Et après un silence durant lequel il boit une gorgée de whisky, il ajoute

-« Je ne suis pas arrivé à trouver dans quelle clinique elles ont été soignées, l’information étant semble-t-il confidentielle. Et, tout aussi troublant, ce n’est que quand l’O-N-G a été fermée que les archives la concernant ont disparues ou plus exactement ont été classées « secret défense. »

Je hoche la tête sans répondre, ayant du mal à « digérer » ce qu’il vient de m’apprendre. Mais déjà il continue

-« Je ne comprends pas pourquoi cette information est confidentielle ni pourquoi le gouvernement ne fait rien pour endiguer cette épidémie qui, semble-t-il, continue à se propager. Je voudrais que vous cherchiez une réponse dans les analyses sanguines de votre amie, c’est peut-être là que se trouve l’explication puisque l’Enarque a immédiatement fait incinérer le corps de la dernière victime. Sans oublier, bien sûr, qu’il a tenu à récupérer toutes les archives concernant ces meurtres, sous couvert de les envoyer, pour être étudiés, dans un service de l’armée, plus qualifié que notre « commissariat de quartier ».

Puis, avec un sourire, il ajoute

-« Mes cigarillos me manquent pour réfléchir, mais ma femme m’interdit de fumer à la maison. »

J’ai mal dormi cette nuit malgré le copieux dîner et la chaleureuse soirée qui m’a permis de découvrir la véritable personnalité du commissaire, pourtant toujours distant et bougon au commissariat. Mais les informations qu’il m’a transmises me troublent, laissant supposer  une « magouille politique ».

Et je ne peux m’empêcher de penser à la réflexion de la psy concernant un  éventuel virus qui serait la cause de ces morts. Etait-elle aussi au courant pour qu’elle me suggère de comparer les analyses entre elles afin de vérifier si je n’ai rien négligé d’important ?

Toute la nuit je laisse mon esprit divaguer sur une possible arme chimique destinée à détruire des populations, virus découvert par Marguerite et ses collègues mais dont elles furent aussi les victimes.

Dés mon arrivée en salle d’autopsie le lendemain matin, je me dépêche de ranger les analyses de sang de Marguerite avec celles que je dois faire, analyses comprenant bien sûr celles de Charles de Gaulle auxquelles j’ai aussi donné des références que moi seul peux comprendre.

Mais comme le commissariat commence à s’animer, je repousse à plus tard une étude approfondie de ces prélèvements sanguins, car je ne veux pas risquer que l’Enarque découvre mes recherches.

En attendant, je relis attentivement mes notes sur les analyses de sang des deux premières victimes déjà en ma possession, puisque je n’ai eu le temps d’étudier ni celles de Marguerite ni celles de Charles de Gaulle. Et là, je m’attache à vérifier si je n’ai négligé aucune information capitale. C’est grâce à cette nouvelle étude, que je remarque un élément chimique inconnu, présent sur ces premières victimes, mais en proportion insignifiante d’où le peu d’importance que je lui avais accordé, l’attribuant à des médicaments qu’elles auraient pu prendre, en prévention d’une maladie tropicale quelconque.

Est-ce l’élément de ce virus mortel destiné à détruire des populations entières ? J’hésite à aller plus loin dans mes recherches, mais la prudence me pousse à refreiner ma curiosité, ce qui s’avère être une sage décision car, effectivement, j’ai une nouvelle visite de l’Enarque un peu plus tard sous le prétexte de vérifier que toutes mes notes sur les corps déposés aux pieds des sculptures ont bien été remises à l’administration, y compris, bien sûr, les certificats d’incinérations. Bien entendu je lui affirme que je n’ai plus rien en ma possession, ayant déjà remis toutes les notes officielles au commissaire comme le veut la procédure.

Il repart, le sourire aux lèvres, persuadé d’avoir rempli sa mission et m’annonce qu’il est rappelé par son administration d’origine mais qu’il ne manquera pas de faire un bon rapport sur le fonctionnement de ce commissariat.

Peu après je suis convoqué par le commissaire. Il me reçoit dans son bureau, son cigarillo toujours aussi malodorant à la bouche.

-« Je tenais à vous remercier pour hier soir. »

Il balaie mes remerciements d’un geste et

-« Vous êtes au courant ? »

-« Oui. Il est venu s’assurer que je n’avais plus aucun document en ma possession avant de m’annoncer son départ. J’ai menti en disant que je vous avais tout donné. »

Le commissaire hoche la tête en souriant

-« On va pouvoir enfin travailler tranquilles. »

Puis, après avoir aspiré une bouffée de tabac, il enchaîne

-« Vous avez du nouveau ? »

-« Je me suis demandé si les autres victimes n’étaient pas aussi des femmes médecins employées par cette association. »

-« J’y ai pensé aussi, mais je ne suis pas arrivé à avoir d’autres informations concrètes sur cette O-N-G puisqu’elle a totalement disparu et qu’il est impossible d’avoir des renseignements sur elle. »

Puis, après un silence durant lequel il en profite pour téter son cigarillo, il enchaîne

-« C’est pareil pour la clinique où elles ont été soignées après leur rapatriement. Secret Défense une fois encore. »

Je hoche la tête et

-« Je vais retourner questionner l’infirmière qui est restée en contact avec Marguerite. Peut-être qu’elle me confirmera que nos autres victimes sont aussi les médecins de l’hôpital où nous avons fait notre internat Marguerite et moi. »

Il  hoche la tête avec un sourire, avant d’ajouter

-« Ne parlez pas de nos recherches à la psy. »

Je le regarde, étonné

-« Je l’ai surprise en grande conversation avec l’Enarque qu’elle avait l’air de bien connaître. »

-« Vous auriez pu me le dire avant. »

-« Pourquoi ? »

-« Elle est venue me demander de vérifier si, dans les analyses de sang encore en ma possession, il n’y aurait pas la trace d’un virus inconnu qui serait la cause de ces morts. »

Le commissaire me regarde, fixement, tendu

-« Qu’est-ce que vous en pensez ? »

-« Je ne sais pas. J’ai eu un doute, et je lui ai dit que je vous avais transmis tous les dossiers en ma possession … et que je n’avais rien remarqué d’anormal dans mes analyses. »

Il hoche la tête en souriant, avant d’ajouter

-« Je pense que nous ferons  une bonne équipe. »

Comme je l’ai annoncé au commissaire, je retourne voir l’infirmière que nous avions connue lors de notre internat pour savoir si elle a eu connaissance d’autres jeunes femmes médecins sélectionnées par cette O-N-G.

Sa réponse est celle que je craignais

-« Oui, uniquement des médecins de sexe féminin car elles devaient s’occuper des femmes et des enfants malades et, dans ces pays, les hommes n’auraient pas eu le droit de les soigner. Du reste, Marguerite m’a écrit qu’elle en avait retrouvé quelques unes avec elle dans la clinique de l’armée. »

J’avais ma réponse et l’identité, encore à préciser, des autres victimes de nos « sculptures ».

Puis, après un léger silence, elle ajoute

-« J’avais oublié … Dans sa dernière lettre Marguerite m’a envoyé une formule chimique à votre intention. »

-« Une formule chimique ? »

-« Je n’ai pas compris à quoi elle correspondait, mais, comme elle vous est destinée, je l’ai précieusement gardée chez moi. Vous n’avez qu’à passer la prendre demain, je vous l’apporterai à l’hôpital. »

Je la remercie chaleureusement et lui promet de revenir le lendemain en début d’après midi. 

Le commissaire, suivant mes renseignements, fait les recherches nécessaires pour identifier ces femmes médecins et immédiatement il a effectivement les noms de ces femmes considérées comme mortes, tuées par l’épidémie qu’elles étaient parti soigner, et, par risque de contagion, incinérées sur place.

Il m’informe aussi que c’est aussi le cas de Marguerite vis-à-vis de l’administration.

Le lendemain, à l’heure dite, je me rends à l’hôpital pour retrouver l’infirmière, mais on m’informe quelle a fait un malaise cardiaque et qu’elle sera absente pendant plusieurs semaines, si ce n’est plus.

Je suis très inquiet de la tournure que prennent les événements et cela me fait penser que je suis suivi sur ordre de l’Enarque qui n’a pas cru à mes affirmations. Mais ce qui me chagrine le plus est de penser que la formule que voulait me transmettre Marguerite est maintenant perdue.

A moi donc de découvrir, grâce à l’élément chimique qui m’avait dans un premier temps échappé, à quoi correspond la composition de ce virus dont il fait partie.

Je me replonge dans mes cours de chimie mais, très vite, je me rends compte de l’inutilité de mes recherches.

Par contre, la vraie question est : « Est-ce un virus qui est réellement inconnu ou une nouvelle arme de guerre créée par notre gouvernement en vue de détruire des populations. »

Mais, dans un premier temps, mon seul but est de découvrir si la mort de Marguerite et la disparition de l’infirmière sont dues à une coïncidence ou, comme je le crains, à cette « magouille » politique, responsable de cette arme destructrice. Et, si c’est le cas, je me jure de les venger en trouvant les responsables et en le faisant savoir au monde entier avec à l’aide des médias.

Le lendemain matin, j’ai la surprise de recevoir dans mon courrier une lettre envoyée par l’hôpital où nous avions fait notre internat Marguerite et moi. Par prudence, et se doutant de son importance, l’infirmière m’avait donc fait envoyer, de façon anonyme, et sans lettre d’accompagnement, la formule chimique que lui avait transmise Marguerite.

Bien entendu ma première réaction est de vérifier si l’élément chimique inconnu que j’ai découvert en fait partie et c’est effectivement le cas.

Dés mon arrivée au commissariat, j’en parle au commissaire et nous convenons de nous répartir les tâches, lui en essayant de découvrir le nom de cette mystérieuse clinique militaire où Marguerite a été rapatriée et moi en étudiant la composition de ce virus mortel.

Nous  évoquons aussi la psy qui nous assiste depuis le début de l’enquête sur les « meurtres des sculptures », comme nous les appelons maintenant, mais nous décidons, d’un commun accord, de ne pas la tenir au courant de l’évolution de l’enquête.

Et après un léger silence qui lui permet de téter son cigarillo malodorant, il ajoute

-« Inutile d’être trop nombreux pour que nos recherches restent confidentielles. »

Mais c’est elle qui vient me voir pour me demander si, en temps que médecin, j’ai une idée de la cause réelle des décès des « meurtres des sculptures », puisque j’avais, dés les premiers jours, établi que ces morts n’étaient pas dues à des étranglements, comme on voulait nous le faire croire, car la destruction des larynx n’avait eu lieu qu’après la mort des victimes.

Je lui confirme donc, comme nous en avons convenu avec le commissaire, que je n’ai plus aucun élément sur ces meurtres, classés sans suite à la demande de l’Enarque, et que je profite du calme revenu, pour mettre de l’ordre dans la salle d’autopsie de façon à être prêt pour de nouveaux cas.

Souriante, elle conclut en disant que je fais le bon choix et qu’elle va, elle aussi, en profiter pour s’occuper des autres enquêtes en cours.

L’Enarque est parti, la psy prend du recul, et nous nous retrouvons seuls le commissaire et moi pour résoudre cette affaire qui a détruit ma vie en m’enlevant Marguerite.

Je me lance donc avec acharnement dans l’étude de la formule transmise par Marguerite, mais, très vite, je dois reconnaître qu’elle ne veut rien dire pour moi. Je décide donc d’aller me renseigner auprès de notre professeur de chimie, bien que je n’ai gardé aucun contact avec lui. Mais comment lui faire part de ma découverte sans éveiller sa curiosité ?

J’en parle au commissaire qui me dissuade d’effectuer cette démarche, m’expliquant qu’il lui sera plus facile de se renseigner auprès d‘un laboratoire qu’il connaît et dont il est sûr que sa demande restera confidentielle.

Effectivement, peu de temps après, il me convoque pour m’informer que cette formule est un dérivé du gaz sarin, et qu’il est tout aussi mortel pour l’homme. Puis il ajoute qu’il n’est toujours pas arrivé à découvrir dans quels pays les victimes avaient été envoyées, mais qu’il semblerait que ce soit dans d’anciennes colonies  françaises, puisque l’O-N-G était certainement mandatée par le gouvernement, pour tester cette nouvelle arme.

Cette information limite nos recherches sans pour autant les résoudre, car, ajoute-il, plus aucune O-N-G n’a été active en Afrique francophone après celle qui avait employé Marguerite et ses consœurs.

Je passe mon week-end à digérer cette information et, ma décision prise, je retourne le voir pour lui demander un congé qui me permettra d’aller visiter ces régions sous couvert de vacances.

Contrairement à mon attente il n’est pas du tout enthousiaste à mon idée, considérant  que cela veut dire m’envoyer à une mort certaine car il n’existe pas de remède contre ce virus et qu’il a  besoin de moi pour résoudre cette affaire.

Et, ajoute-il, si nous sommes effectivement surveillés, comme cela semble être la cause de l’élimination de votre amie infirmière, un voyage en Afrique ne fera que confirmer leurs soupçons, donc une raison supplémentaire pour se débarrasser de vous.

A contre cœur je me soumets à son argumentation, persuadé pourtant que c’est la seule façon de trouver où ce gaz mortel a été répandu, ou plus exactement testé comme arme d’avenir, car, dans le cas d’un virus étranger dû à une nation étrangère, je doute que l’armée française réagisse de cette façon, puisqu’ils ont rapatrié les médecins dans cette fameuse clinique militaire, encore inconnue pour nous.

Par contre, il m’annonce qu’il a officiellement fait rapatrier les prises de sang des deux premières victimes qui avaient été transmises aux archives. Je l’informe que j’ai encore les doubles, mais avec un sourire, il me répond

-« Je sais. Mais pas l’Enarque. »

Et, il me charge de continuer à chercher dans ces analyses de sang des éléments qui pourraient indiquer la région où les victimes ont vécu. Et lui, de son côté, va essayer de comprendre qui a intérêt à faire connaître, et donc annuler ce projet, en déposant les victimes, non encore incinérées, aux pieds de sculptures, amenant ainsi son commissariat à étudier ces soi disant meurtres.

J’hésite à pratiquer une réelle autopsie sur le corps de Marguerite, réticent à l’idée de la découper en morceau. Mais, très vite, je me persuade que même l’étude approfondie de son alimentation sera inutile puisque, d’après nos informations, elle a été rapatriée et donc nourrie « à la française » dans la clinique militaire qui l’a soignée.

Je me penche donc sur sa peau à la recherche de piqûres d’insectes, et là, j’ai des résultats. Mais comment définir de façon précise à quoi elles correspondent ?

Je fais des prélèvements de ces piqûres et me penche dans l’étude des maladies tropicales pour arriver à en définir leurs origines.

Ces piqûres d’insectes, de moustiques en l’occurrence, sont assez fréquentes en Afrique mais pas sectorisées. Pourtant, grâce à leurs formes et surtout à leurs venins, j’arrive à en sélectionner une abondance dans le Sud-Est de l’Afrique, plus importante que dans les autres régions.

A moi donc de trouver le pays francophone à qui notre gouvernement donne encore suffisamment de subventions pour se permettre de tester ses nouvelles armes en toute impunité.

J’arrête mon choix sur la plus petite île de l’archipel des Comores, Mohelli, suffisamment isolée et habitée par une population de seulement 12 000 « âmes », de façon à éviter une propagation du virus dans des territoires trop importants et non contrôlés par l’Armée Française.

Reste maintenant à vérifier mes recherches, mais avant de contacter des spécialistes des maladies tropicales, j’en parle au commissaire.

Contrairement à mon attente, il me confirme qu’il n’en attendait pas moins de moi et que lui aussi a envisagé les Comores comme lieu propice à des expériences militaires françaises.

J’en reviens donc à ma première idée et lui propose de partir en « vacances » dans cette petite île pour étudier la santé de la population, mais une fois encore, il s’oppose fermement à cette idée, trouvant que je vais risquer ma vie pour rien  puisqu’il n’existe, à notre connaissance, aucun antidote à ce virus.

-« De plus, ajoute-t-il après plusieurs bouffées de son cigarillo, étant déjà surveillé par les autorités militaires, vous avez toutes les chances, comme le prouve la disparition de votre amie l’infirmière, d’être victime à votre tour d’un accident. »

J’accepte ses conseils, non sans avoir l’impression de trahir Marguerite, mais je dois reconnaître que tout cela me dépasse et que je n’ai aucune solution pour résoudre ce problème.

Le soir même, au moment où je quitte le commissariat pour rentrer chez moi, je croise la Psy

-« Ah Pierre, justement je voulais vous voir. »

-« Oui ? »

-« Ne restons pas là. Allons boire un café, si vous avez le temps. »

Intrigué j’acquiesce d’un hochement de tête, et nous nous  retrouvons dans le café situé en face du commissariat.

Dés que nous sommes assis, elle me demande

-« Qu’est-ce que vous savez exactement ? »

-« Pardon ? »

-« Arrêtons de tourner autour du pot. Je sais que vous avez découvert les causes de l’épidémie. J’ignore comment du reste, et que, dans le cadre d’une O-N-G,  des femmes médecins ont été envoyées soigner les populations malades d’un virus soi disant inconnu. Mais, dans la réalité et comme vous l’avez compris, ce sont des tests militaires destinés à vérifier l’efficacité d’une nouvelle arme chimique. »

Je la regarde, trop surpris pour répondre.

Puis, comme elle reste silencieuse en attendant ma réaction

-« Comment le savez-vous ? »

-« Je connais la clinique qui dépend de l’armée et je sais que c’est là que ces femmes médecins ont été rapatriées et soignées après avoir été, elles aussi, contaminées. »

Comme je la regarde fixement, elle enchaîne

-« Mais les corps de ces femmes médecins ont été volés après leurs morts et, sous couvert de meurtres, déposés devant des sculptures situées dans notre quartier, d’où l’implication de notre commissariat. »

Comme je ne réagis toujours pas, elle enchaîne

-« Je trouve ces tests aussi monstrueux que vous. »

Je hoche la tête et réponds avec un pâle sourire,

-« Vous saviez que ma fiancée faisait partie des victimes ? »

Elle me regarde, surprise,

-« Non, je l’ignorais. »

Puis, après un silence attristé, elle enchaîne

-« C’est pour ça que vous vous sentez concerné par cette affaire ? »

-« Entre autre, oui. »

Elle hoche la tête et enchaîne

-« Elle s’était engagée dans l’O-N-G appelée « sauvons nos enfants africains » ?

-« J’ignorais le nom de l’O-N-G. »

-« Je sais. Vous pouvez donner ce nom au commissaire puisqu’il fait des recherches à ce sujet. Mais il ne trouvera rien, car cette O-N-G a été dissoute dès la contamination des médecins soignants. »

Puis, tristement, elle enchaîne

-« Moi aussi je veux que ces expériences cessent. C’est pour ça que je viens vous demander votre aide. »

Comme je ne réponds toujours pas, elle continue

-« Je sais que vous travaillez sur ces tests avec les commissaire. Transmettez lui ces informations, et  surtout qu’il arrête de faire des recherches sur ces dossiers, car l’Enarque vous fait surveiller. »

Elle finit son café, se lève et, en partant, ajoute

-« J’attends votre réponse, appelez-moi quand vous serez prêts. »

Après son départ je retourne immédiatement au commissariat, mais le commissaire est déjà parti.

Comme je connais son adresse, je me rends chez lui où je suis accueilli chaleureusement par sa femme qui m’informe qu’il n’est pas encore rentré, mais me propose, en l’attendant, de prendre un apéritif avec elle.

Comme personne ne m’attend, j’accepte avec plaisir son invitation et quand nous sommes confortablement installés dans le salon un verre de vin à la main, elle me dit

-« Je suis vraiment triste pour vous. Mon mari m’a expliqué pour votre fiancée. »

-« Je vous remercie. »

-« J’espère que vous trouverez les responsables. »

Je hoche la tête, et  c’est à ce moment  que le commissaire rentre chez lui. En me voyant il dit en s’amusant

-« Je vous cherche depuis une demi-heure dans tout le commissariat et je vous retrouve en train de prendre l’apéro avec ma femme. »

Je hoche la tête, répondant à son sourire. Et, me levant pour aller dans son bureau, je dis

-« J’ai eu la visite de la psy. Je voulais vous en parler. »

-« Allez-y. Ma femme est de très bon conseil et de toutes les façons je l’informe des affaires en cours. »

Il s’assoit en face de moi pendant  que sa femme lui sert aussi un verre de vin.

-« Elle est venue pour me dire qu’elle était au courant de l’avancée de nos recherches et qu’elle souhaitait s’associer à nous pour mettre fin à ces expériences. »

Il boit une gorgée de vin, attendant la suite. Je lui raconte donc toute notre conversation. Il hoche la tête en silence, mais sa femme demande

-« Vous la croyez sincère ? »

-« Oui, elle semble désapprouver ces expériences et vouloir y mettre fin. »

Le commissaire hésite, puis dit après un silence

-« Si elle nous demande notre aide à tous les deux, c’est qu’elle est probablement sincère et, effectivement, mieux informée que nous sur l’O-N-G et la clinique. »

Puis, après avoir bu une nouvelle gorgée de vin il enchaîne

-« J’ai fait des recherches sur elle. Son mari était médecin militaire et il a travaillé sur ce programme. Mais, comme il était contre, on l’a envoyé en mission en Afghanistan où il s’est fait tuer. »

Nous nous regardons tous les trois en buvant calmement nos verres de vin, puis le commissaire dit

-« Nous allons accepter, mais à nos conditions. »

-« C’est à dire ? »

-« Elle travaille sous mes ordres et n’en parle à personne. »

Je hoche la tête

-« Cela me paraît une bonne solution. Comme ça nos recherches auront lieu sous couvert de l’enquête sur les meurtres. »

Mais, après un silence, j’enchaîne

-« Vous m’aviez parlé de ses contacts cordiaux avec l’Enarque. Elle cherche peut-être à nous tester ? »

-« Je l’ai cru un moment. Mais son mari travaillait dans la clinique militaire qui dépend de l’administration dont fait partie l’Enarque. C’est là qu’ils se sont probablement déjà rencontrés. Et comme elle semble, elle-aussi, contre ces tests, c’est normal qu’elle veuille donner le change. »

Je hoche la tête et me lève pour prendre congé, mais sa femme demande

-« Comme vous êtes là, vous ne voulez pas partager notre dîner ? »

-« Je ne voudrais pas m’imposer. »

Je regarde le commissaire qui me sourit en haussant les épaules

-« Ici, c’est pas moi qui décide »

Décidemment ce couple me plaît et l’avenir de notre collaboration me semble positif. En plus, nous passons une très agréable soirée, évitant de parler des expériences militaires qui sont pourtant la cause de notre complicité.

Le lendemain matin, je vais voir la psy dans son bureau pour lui faire part des exigences du commissaire et sa seule réponse est

-« Ça me va. »

Mais déjà le commissaire nous convoque tous les deux dans son bureau, « pour faire le point. »

Mais sa première question s’adresse à la psy

-« Comment avez-vous su ? »

-« J’ai un ami très bien informé, qui était un proche collaborateur de mon mari.»

-« C’est à dire ? »

-« Un ami d’enfance de mon mari qui travaille au Ministère des Armées. C’est lui qui m’a appris que vos recherches vous ont permis d’obtenir la formule du virus. Et m’a conseillé de vous mettre en garde sur « l’Enarque » comme vous l’appelez. »

Elle marque une légère pause avant de continuer

-« Du coup, je suis allée le voir pour le convaincre que son travail était une réussite, en lui affirmant que, pour vous, l’affaire était maintenant enterrée. Il m’a crue car il savait que j’avais sollicité le poste de directeur de cette clinique où les médecins ont été soignés à leur retour en France, poste que devait occuper mon mari avant d’être envoyé à la mort. »

Et près un silence, elle enchaîne

-« L’ami de mon mari m’a aussi informée de votre demande à un laboratoire privé pour avoir plus d’information sur la formule de ce virus. Je lui ai demandé de n’en parler à personne, et je suis venue vous voir, puisque, contrairement à ce que j’ai dit à l’Enarque, j’ai toujours su que vous aviez un autre corps en votre possession, celui de votre ancienne  fiancée, si j’ai bien compris. »

Elle nous regarde tous les deux, et après un silence ajoute

-« Ma source est fiable et je peux compter sur sa discrétion. »

Le commissaire hoche la tête avant d’ajouter

-« Et ce poste de directeur de cette clinique militaire que vous avez sollicité ? »

-« Le directeur actuel est là jusqu’à son départ à la retraite qu’il doit prendre dans six mois. J’ai donc six mois à attendre pour savoir à quoi correspond réellement ce virus, et surtout la raison pour laquelle mon mari a refusé de s’occuper de ce programme puisqu’il a dû partir en Afghanistan sans même avoir le temps de me revoir. D’où ma demande de reprendre ce poste.»

Elle nous regarde en souriant et

-« Voilà toute l’histoire. Et vous, où en êtes-vous ? »

Le commissaire la regarde fixement tout en tétant son cigarillo avant de répondre

-« Ça ne marche pas comme ça. Vous devez d’abord gagner notre confiance. »

Elle hoche la tête

-« Je comprends. »

Puis, après un silence, elle sort une feuille papier de sa poche et la tend au commissaire

-« Voilà le nom et le téléphone de mon ami au Ministère des Armées sur qui je peux compter. Renseignez-vous sur lui. »

Avec un sourire, elle ajoute

-« Je peux aussi vous le présenter et organiser une rencontre dans un lieu discret si vous voulez. Mais, pour l’instant, il faut être très prudent car votre commissariat est placé sous surveillance. »

Le commissaire hoche la tête avant de répondre

-« Je m’en doutais. »

Puis, après un silence, il ajoute

-« Mais quel est le rôle exact de l’Enarque dans cette affaire ? »

-« C’est lui qui est officiellement en charge de ce programme. »

Nous nous regardons le commissaire et moi, consternés par cette information.

Pourtant la vie du commissariat reprend sa routine habituelle, occupée par des vols, des interpellations pour ivresse au volant ou autres « broutilles » sans réelle importance.

Mais pour ma part je n’arrive pas à me décider à autopsier Marguerite ni surtout à trouver une solution pour l’enterrer dignement sans éveiller les soupçons. J’en parle au commissaire, mais, comme moi, il reconnaît que ce serait prendre un risque inutile.

C’est la psy, sans que je ne lui demande rien, qui vient me voir dans la salle d’autopsie

« J’ai repensé au cadavre de votre amie. Vous ne pourrez pas la garder indéfiniment. Je vous suggère donc de demander à l’administration un corps de femme destiné à la science pour pratiquer les différentes expériences nécessaires à votre métier et, après l’avoir examinée, de la faire enterrer, enfin je veux dire celui de votre amie bien sûr. Seul problème, il faudra lui donner une fausse identité. »

-« Mais comment justifier ensuite la présence de cet autre cadavre ? »

-« Vous n’aurez qu’à vous en servir pour parfaire vos connaissances médicales et vous ferez incinérer les restes au fur et à mesure. »

Surpris par cette proposition, j’en parle au commissaire

-« Elle a raison. »

Puis, après un silence il ajoute

-« Je crois qu’on va pouvoir lui faire confiance. J’ai de très bonnes informations sur son ami qui est, comme elle nous l’a dit, un ancien collègue de son mari. Tout ce qu’elle nous a raconté semble vrai. »

Il tire une nouvelle bouffée de son cigarillo avant d’ajouter

-« Mais attendons encore un peu. »

Ce soir là en partant, je passe la voir dans son bureau

-« On prend un verre au café d’en face ? »

En souriant, d’un air ironique, elle me répond

-« Vous voulez en faire une habitude ? »

Je réponds à son sourire et nous sortons ensemble du commissariat.

Une fois installée, elle me demande

-« Vous vouliez me demander quelque chose ? »

-« Non. J’ai juste envie de mieux vous connaître comme nous allons travailler ensemble. »

Elle hoche la tête en souriant sans répondre. Aussi j’enchaîne,

-« Comme j’ai cru comprendre que vous saviez tout sur moi, j’aimerais moi aussi vous connaître. »

-« Vous voulez m’autopsier ? »

-« Je me contenterai de comprendre qui vous êtes, comme le font les psys du reste. »

Là elle éclate de rire

-« Bravo. Je ne m’attendais pas à çà. »

Et, sans que je lui pose d’autres questions, elle enchaîne

-« Je suis née dans le sud de la France, à Toulon pour être précise, d’un père officier de marine. C’est lui qui m’a donné le sens du devoir et le respect de la Patrie. D’où ma réaction aux expériences sur cette nouvelle arme chimique pratiquées par l’Armée sous couvert de « défense nationale ». Et comme j’ai tout de suite compris que nous partagions les mêmes valeurs, comme le commissaire du reste, je vous ai proposé de m’associer à vous pour arrêter « ces crimes politiques », comme j’aime à les appeler. »

Je hoche la tête avant de répondre

-« Mais comment avancer dans nos recherches si nous n’avons pas un nouveau cadavre ? »

-« J’y ai pensé, mais, pour l’instant, je n’ai pas de réponse. »

Je hoche la tête avant d’enchaîner

-« Et l’infirmière ? Elle aussi est morte ? »

-« Je crois qu’ils l’ont envoyée en urgence dans un hôpital en Afrique qui avait, soit disant, besoin de ses connaissances. »

Puis, elle  ajoute

-« Je dois reconnaître du reste que vous ne fréquentez que des personnes de qualité et très efficaces dans leurs métiers. »

Après un silence, elle ajoute

-« Mais faites très attention à vos rencontres, car c’est vous qui avait attiré l’attention de l’Enarque sur elle. »

Je hoche la tête, attristé, mais déjà, en souriant elle ajoute

-« Comme personne ne vous attend,  ni moi non plus du reste, que diriez-vous de dîner avec moi. Je connais, pas très loin d’ici, un petit restaurant sans prétention, mais très bon. »

Nous finissons donc la soirée dans son restaurant, sans évoquer « l’épidémie » provoquée par l’Armée, parlant de tout et de rien, simplement pour apprendre à mieux nous connaître.

Le lendemain matin, je vais voir le commissaire pour lui raconter ma soirée avec la psy, et, tout en mâchouillant son cigarillo, il sourit

-« Vous auriez été un très bon flic. »

Je réponds à son sourire,

-« Ce n’était pas mon but. »

Il hoche la tête et, toujours souriant, enchaîne

-« Voyons si la psy viendra me parler de votre soirée avec autant de franchise. »

Effectivement, en fin de journée, il passe me voir en salle d’autopsie

-« Elle m’a dit beaucoup de bien de vous et a apprécié votre soirée d’hier. »

Je le regarde en souriant avant qu’il n’ajoute

-« Et vos versions sont similaires … Presque trop. »

-« Vous pensez qu’on les a préparées ? »

-« Je n’irai pas jusque là. Je pense simplement que vous êtes faits pour vous entendre … »

Et, avec un sourire, il ajoute

-« Comme dirait ma femme. »

Je quitte le commissariat sans la revoir, mais ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil au café situé en face du commissariat.

Personne. Je suis déçu. Mais comme elle a dit hier soir quand je suis passé la voir

-« Vous voulez en faire une habitude ? » 

Je m’éloigne donc pour rentrer chez moi, quand elle sort du commissariat et sourit en me voyant

-« Vous voyez que ça devient une habitude. »

Je réponds à son sourire

-« J’ai passé une très  bonne soirée hier soir. »

-« C’est ce que m’a dit le commissaire. »

Puis, après un silence, elle enchaîne

-« On recommence ? »

Je hoche la tête et nous nous dirigeons, comme la veille, vers le restaurant où nous sommes accueillis comme de vieux clients.

Nous nous installons à la même table et ne peux m’empêcher de remarquer

-« J’ai l’impression d’être dans un village. »

-« A Paris, il est fréquent que dans certains quartiers on ait cette sensation… Pas dans tous il est vrai,  mais dans le nôtre oui. »

On nous sert un verre de vin blanc en apéritif sans que nous ne demandions rien, et ils nous apportent le menu pour que  nous puissions choisir.

Dés notre commande passée, je lui demande

-« Pourquoi êtes-vous venue travailler dans notre commissariat puisque vous aviez la possibilité de trouver un poste équivalant dans la clinique militaire. »

-« C’est justement pour ça. Avant de solliciter le poste de directeur, je voulais faire mes preuves. »

Je hoche la tête en buvant une gorgée de mon verre de vin.

-« Et vous ? »

-« Quand ma fiancée s’est engagée dans l’O-N-G, je suis devenu légiste pour être, à ma façon, utile à la société. »

Elle sourit, lève son verre en signe de complicité et boit à son tour une gorgée de vin.

Comme la vieille nous passons une excellente soirée, basée sur notre complicité naissante.

J’hésite à en parler au commissaire, mais c’est lui qui vient me voir,

-« Vous avez passé une bonne soirée ? »

-« Comment le savez-vous ? »

-« C’est ma femme qui m’a dit que c’était fort possible. »

Je hoche la tête en souriant

-« Intuition féminine ! »

Il répond à mon sourire en hochant la tête, avant d’ajouter

-« Du reste, elle voudrait la connaître et vous inviter tous les deux à dîner. »

Je le regarde étonné

-« Qu’est-ce que vous en pensez ? »

-« Pour les invitations, c’est elle qui décide. »

Je hoche la tête et il ajoute

-« Parlez-lui en et tenez-moi au courant. »

Le soir même, avant même d’aller l’attendre devant le café je passe dans son bureau.

En me voyant arriver, elle sourit

-« C’est déjà l’heure ? »

-« Pas encore. Mais la femme du commissaire voudrait nous inviter tous les deux à dîner. »

-« Pourquoi pas ! »

Je hoche la tête, mais déjà elle enchaîne

-« Propose-lui vendredi ou samedi. »

Je la regarde surpris

-« On se tutoie ? »

-« Pourquoi pas ! »

Je hoche la tête et en partant dis

-« Je vais le lui dire et je te retrouve au restaurant pour l’apéro. »

Le commissaire trouve normal sa réponse, et, tout en tirant une nouvelle bouffée  de son cigarillo, répond

-« J’en parle à ma femme et je vous confirme demain matin si samedi soir lui convient. »

Je la retrouve au restaurant où elle m’attend devant des verres de vin blanc.

-« Il me confirme si samedi soir leur convient demain matin. Tu verras, sa femme est charmante et elle a beaucoup d’influence sur lui, au point de l’empêcher de fumer chez eux. » 

Elle hoche la tête en souriant avant de répondre

-« Effectivement, c’est une preuve. »

-« En plus il la tient au courant de toutes ses enquêtes et je crois qu’elle l’aide à les résoudre. »

Le patron du restaurant nous rejoint à ce moment avec les menus à la main, et, en nous les tendant, dit

-« Le plat du jour est un cassoulet. »

Je la regarde, elle hoche la tête et je me tourne vers le patron

-« Deux plats du jour. »

-« Un Bordeaux rouge avec ? »

-« Merci, mais nous  continuerons au blanc. »

Il repart avec les menus et en souriant Claire (puisqu’on se tutoie on peut aussi s’appeler par nos prénoms), dit

-« Si l’on continue comme ça, on n’aura même plus besoin de parler pour savoir ce que pense l’autre. »

-« Tu regrettes ? »

-« Pas du tout. Je trouve même cela rassurant. »

Les cassoulets sont très bons et nous passons une fois encore une très agréable soirée, peut-être trop agréable du reste car nous commençons, sans nous l’avouer, à trouver ça normal.

Effectivement les jours suivants, nous continuons notre habitude et, sans rien demander, constatons que « notre table » au restaurant nous est toujours réservée, et que deux verres de vin blanc sont automatiquement servis à notre arrivée.

Quand je lui suggère d’informer les médias des meurtres des statues, elle me conseille d’attendre car une action trop rapide de ma part provoquerait des soupçons chez l’Enarque qui reviendrait immédiatement dans  notre commissariat pour comprendre ce qui lui a échappé.

La semaine se déroule donc sans changement dans nos occupations journalières du commissariat, à part notre nouvelle et agréable habitude de nous retrouver le soir pour dîner.

Et le samedi soir nous arrivons chez le commissaire, Claire un gros bouquet de fleurs à la main et moi une bouteille de vin.

C’est lui qui nous ouvre la porte, immédiatement rejoint par sa femme à qui Claire tend le bouquet de fleurs en disant.

-« Je suis ravie de vous connaître Madame. »

-« Appelez-moi Odette. « 

Et, prenant le bouquet de fleurs, elle enchaîne en souriant

-« Merci, mais c’était inutile. »

Puis, toujours  souriante, elle continue

-« Comme Pierre m’a beaucoup parlé de vous, je voulais vous connaître. »

Claire, étonnée, me jette un coup d’œil pendant que le commissaire prend la bouteille de vin comme si c’était normal et nous invite à entrer chez eux.

Evidement la bouteille de champagne est déjà sur la table et nous attend pour l’apéritif. Et, pendant que le commissaire l’ouvre, sa femme nous invite à nous asseoir devant un plateau où sont disposés différents « amuse-gueules ».

Puis, les verres de champagne servis, Odette lève son  verre en disant

-« Je connais enfin les plus importants collaborateurs de mon mari. »

Devant notre étonnement manifeste, elle enchaîne

-« C’est comme ça qu’il vous appelle. »

Claire et moi regardons le commissaire qui, à son tour, lève son verre en souriant.

Comme la première fois, la soirée est amicale, détendue et Claire se montre beaucoup plus à l’aise que je ne l’étais pour mon premier dîner chez eux, accentuant ainsi le côté convivial de cet excellent dîner.

A la fin du repas, après un dessert fait maison, le commissaire se lève pour aller chercher une bouteille de whisky, et nous sert dans les verres que sa femme a posés devant nous.

Puis, après avoir savouré une première gorgée, il regarde Claire

-« Comme je n’avance pas dans nos recherches, vos amis n’auraient pas une idée sur les personnes qui ont volé les cadavres dans la clinique ? »

Claire le regarde, hésite, boit une gorgée de whisky avant de répondre

-« C’est moi. »

Le commissaire hoche la tête en souriant

-« Merci de votre franchise. »

Puis après un silence durant lequel ils échangent un long regard sa femme et lui,

-« Pourquoi avoir choisi mon commissariat ? »

-« Parce que j’y travaille et que j’ai confiance en vous. »

Il hoche à nouveau la tête avant de répondre,

-« C’est ce que m’a dit ma femme. »

Nous nous tournons immédiatement vers Odette qui répond avec un éclatant  sourire

-« Je n’ai eu aucun mérite à comprendre. Vous êtes contre ces tests que votre mari a refusé de cautionner, ce qui a provoqué sa mort. Et, comme vous êtes connue dans la clinique où il travaillait, je pense qu’il vous a été facile de vous procurer les corps de ces victimes sans vous faire remarquer. »

Je suis surpris par ces révélations, mais je dois reconnaître, qu’à sa place, j’aurais peut-être agi de la même façon.

Mais déjà Claire enchaîne

-« Je voulais vous le dire … »

Mais déjà le commissaire l’interrompt

-« Maintenant c’est fait et on va pouvoir travailler en toute confiance. »

Le whisky aidant, la soirée se termine d’une façon amicale et chaleureuse, et nous nous retrouvons Claire et moi, dans la rue pour rentrer chez nous. Mais tout de suite, je demande

-« Pourquoi m’as-tu caché que c’est toi qui as déposé les cadavres aux pieds des statues. »

-« Je voulais te le dire, mais quand j’ai su que ta fiancée faisait partie des victimes je n’ai plus osé. »

-« Parce que tu l’avais défigurée ? »

Après un silence, elle répond

-« Oui. J’ai eu honte. »

Je hoche la tête, puis nous repartons en silence vers son domicile situé non loin de celui du commissaire.

Arrivée devant sa porte, elle me demande                

-« Tu veux prendre un dernier verre ? »

-« Je crois que j’ai déjà trop bu. »

-« Au point où on en est. »

En arrivant dans son appartement, je lui demande

-« Tu savais pour le virus et c’est pour ça que tu m’as conseillé de chercher des traces d’un poison dans le sang ? »

Elle hoche la tête affirmativement, et elle nous sert des whiskys, avant de répondre

-« Je voulais attirer ton attention sur ce poison. »

Je souris,

-« J’ai d’abord cru que tu mettais en cause mon travail, mais je dois reconnaître que sans ta remarque je n’aurais pas décelé les traces de ce virus inconnu. »

Et tout en prenant le verre de whisky qu’elle me tend, j’ajoute

-« Je devrais pas. »

-« Moi non plus. Mais demain on peut dormir. »

En souriant,  nous commençons à siroter agréablement nos whiskys.                   

Le lendemain matin, nous nous réveillons dans les bras l’un de l’autre, sans savoir exactement comment cela est arrivé.

Elle me regarde, sourit

-« J’en avais besoin. »

-« Moi aussi. Ça fait tellement longtemps. »

Après un léger silence, sans quitter mes bras, elle enchaîne

-« C’est de cette tendresse dont j’avais besoin, pas de faire l’amour. »

-« Nous n’avons pas fait l’amour. »

-« Je sais. Mais ça aussi, ça fait très longtemps. »

-« Pour moi aussi. »

Puis, en silence, nous continuons à nous serrer l’un contre l’autre, profitant de la grasse matinée que nous permet ce dimanche matin.

Plus tard, elle se lève, exposant sans gêne sa nudité pour aller dans la salle de bain. Puis elle revient vêtue d’un peignoir et en dépose un autre à côté de moi.

-« J’avais oublié de me débarrasser de celui-là parce que jamais je n’aurais pensé qu’il puisse servir à quelqu’un d’autre qu’à mon mari. »

Je la regarde, hoche la tête, incapable de répondre.

Mais déjà elle enchaîne avec un triste sourire

-« Du café, ça te va ? »

-« Bien sûr. »

Elle se dirige alors vers la cuisine en disant

-« Je m’en occupe. ».


Je me lève à mon tour, enfile le peignoir qui est à ma taille et la rejoint.

-« Je peux t’aider ? »

Elle me désigne de la tête les étagères où se trouve la vaisselle

-« Tu n’as qu’à mettre deux tasses sur la table du salon-salle à manger, et si tu as faim, j’ai du beurre et de la confiture dans le frigidaire. »

Puis, en souriant, elle ajoute

-« Les biscottes sont dans ce placard. »

Nous prenons notre petit déjeuner comme un vieux couple, souriants, heureux, sans même avoir besoin de nous parler. Puis, tout aussi naturellement, nous nous retrouvons dans son lit pour faire l’amour.

Beaucoup plus tard, heureux, tout en la serrant dans mes bras, je murmure

-« Il va falloir que, dans la journée, je rentre chez moi pour me changer. Le commissaire ne comprendrait pas que, lundi matin, je sois encore habillé  comme lors du dîner chez eux.

-« A mon avis il le sait déjà. »

-«  Sa femme ? »

Et nous éclatons de rire tous les deux.

-« Tu veux que allions au restaurant ce soir ? »

-« Et si on se faisait livrer une pizza plutôt. »

Je hoche la tête pour dire

-« On agit vraiment comme un vieux couple. »

Elle sourit

-« Moi ça me plaît. »

-« Moi aussi, mais je crains que cela ne devienne une habitude. »

Elle me regarde tendrement avant de répondre

-« Et alors ? »

Lundi matin, après un dimanche de tendresse et avant de me rendre au commissariat, je passe quand même chez moi pour me changer, et quand j’arrive au commissariat le planton de service m’annonce que le commissaire m’attend.

Je me rends immédiatement dans son bureau et, avant que j’ai le temps de le remercier pour le dîner

-« J’ai aussi demandé à Claire de nous rejoindre. Je voudrais que nous définissions une marche à suivre pour résoudre le problème de ces tests sur ce virus mortel. »

Effectivement elle arrive peu de temps après moi, et, sans même faire semblant de me saluer, s’assied pendant le commissaire dit

-« Je pense qu’il est temps de définir une stratégie pour que vos « crimes », puisqu’il faut les appeler comme ça, servent à quelques chose, tout en restant, bien sûr, impunis. »

-« Merci. »

-« Est-ce qu’on peut mettre votre ami dans la confidence ? »

-« Je ne crois pas. Il fait partie du Ministère des Armées et il ne lui est pas possible de prendre partie, et encore moins de cacher la vérité, même s’il est d’accord avec nous. »

-« Peut-on voler un nouveau cadavre ? »

-« Non. Car depuis la disparition des trois premiers, ceux-ci sont maintenant très surveillés. »

Il hoche la tête, aspire une nouvelle bouffée de son horrible cigarillo, avant d’ajouter

-« Pierre va donc devoir découvrir officiellement, dans les analyses de sang que nous avons encore en notre possession, des traces de ce virus et en découvrir la formule. »

-« Je croyais que tout avait été rendu à l’Enarque. »

-« Officiellement je lui ai donné celles en ma possession, comme Claire a du le faire aussi du reste, mais le double de ces informations avait été rangé dans les archives avant son arrivée. Il est donc tout à fait normal que je les ai fait ressortir car je voudrais que Pierre les étudie à nouveau. Après tout, c’est déjà lui qui a trouvé dans ses analyses des traces de la formule que Marguerite lui a fait envoyer. »

Le temps d’aspirer une nouvelle bouffée de son cigarillo, il enchaîne

-« Et comme vous nous avez dit que votre ami n’a parlé à personne de cette formule, rien ne nous empêche de la découvrir par nous-mêmes, ou au moins des éléments s’en approchant suffisamment pour inquiéter les autorités dont dépend l’Enarque. »

-« Vous risquez d’avoir des ennuis. »

-« Je sais. Mais c’est mon commissariat qui est en charge de résoudre cette affaire. Et si cette demande de compléments d’informations vient du Ministère des Armées … »

Claire hoche la tête

-« Effectivement. C’est une bonne idée. Je vais en parler à l’ami de mon mari. »

En sortant du bureau du commissaire, je lui demande

-« On se retrouve au restaurant pour déjeuner ? »

-« Non. Je vais devoir faire un saut au Ministère des Armées. »

Puis, après un sourire, elle ajoute

-« Mais je t’attends ce soir chez moi vers sept heures … Comme ça tu auras le temps de passer chez toi prendre ta brosse à dents et des affaires de rechange. »

J’éclate de rire en hochant la tête.

-« Au moins, tu ne perds pas temps. »

Répondant à mon rire, elle ajoute

-« Je me charge du dîner et tu n’as qu’à t’occuper du vin. »

Toute la journée je réétudie les analyses de sang et le corps de Marguerite à la recherche d’éléments, qui hors les sévices pratiqués par Claire, pourraient me donner de nouveaux indices, mais rien n’attire mon attention.

A midi, je grignote un sandwich dans la salle d’autopsie, comme je le faisais avant de prendre l’habitude de déjeuner avec Claire, et je constate, étonné, que sa présence me manque.

Aussi, comme prévu, à sept heures du soir, une petite valise à la main, je sonne à sa porte.

Elle vient m’ouvrir et, souriant, dit

-« J’ai presque fini. Tu n’as qu’à nous servir un verre de vin en attendant. »

Et, avant de se diriger vers la cuisine, elle regarde ma valise et ajoute

-« Je t’ai libéré un tiroir dans l’armoire de la chambre pour que tu ranges tes affaires. »

Je ne peux m’empêcher de sourire à sa remarque que j’avoue n’avoir pas prévue.

Durant ce dîner qui me permet de constater qu’elle est aussi une très bonne cuisinière, elle me raconte sa rencontre avec son ami, fonctionnaire du Ministère des Armées.

-« Il trouve l’idée très bonne, mais elle doit être officiellement présentée par le Ministère dont dépend le commissaire. »

Cette mise au point réglée, nous nous occupons de nous, oubliant pour le reste de la soirée ce virus mortel, pourtant cause de nos changements de vie et par là-même de cette complicité amoureuse que nous n’aurions jamais envisagée dans le passé.

Quand j’explique au commissaire la suggestion de l’ami de Claire de faire intervenir sa hiérarchie pour demander plus d’informations au Ministère des Armées, il reconnaît qu’il aurait dû y penser.

Aussi, pour justifier cette démarche auprès de son Ministère, il décide de leur expliquer qu’il ne comprend pas pourquoi l’Enarque, envoyé soi disant par eux, lui a demandé de classer cette affaire sans suite alors que nous n’avions pas encore eu le temps d’effectuer toutes les recherches concernant ces meurtres.

Et, avec un sourire enfumé, il me regarde en ajoutant que, n’ayant reçu aucun ordre écrit de leur part confirmant que son commissariat n’est plus en charge de résoudre les meurtres dits « des statues », il a, contre les ordres de l’Enarque, demandé officiellement aux archives de ressortir les résultats des premières  analyses de sang, car j’étais venu le voir pour lui expliquer que je regrettais de n’avoir pas pu les étudier plus attentivement et surtout les comparer à celles de Charles de Gaulle, ayant remarqué dans ces premières analyses de sang un élément inconnu que je voulais encore étudier.

Effectivement cette nouvelle étude m’a permis de découvrir que cet élément, commun à toutes les analyses des victimes précédentes, mais en quantité minime ce qui avait justifié que je n’y avais pas apporté d’importance, semble être un virus inconnu qui est la cause réelle de la mort des victimes car il présente les caractéristiques d’un dérivé du gaz mortel couramment appelé Gaz Sarin.

Il transmet donc les résultats incomplets de ma soi disant deuxième étude d’analyses de sang, me précisant qu’il est exclu de leur donner la formule exacte que je n’aurais pas pu trouver sans l’aide de Marguerite.

Immédiatement le Ministère de l’Intérieur l’informe qu’il n’a jamais envoyé quelqu’un pour le remplacer dans la gestion de cette affaire, et qu’il va immédiatement questionner le Ministère des Armées pour savoir pourquoi un de leurs fonctionnaires s’est immiscé dans cette affaire sans les prévenir et surtout pourquoi il a fait détruire les corps des victimes sans même prendre le temps de les faire analyser.

En retour, le Ministère des Armées répond qu’il n’a jamais mandaté de  fonctionnaire pour superviser cette affaire et surtout qu’un autre corps a aussi été volé et qu’il leur demande de le retrouver et, surtout, d’identifier le voleur.

Le commissaire nous convoque immédiatement Claire et moi pour nous informer de la réponse des deux Ministères afin de trouver avec lui une solution qui ne nous mette pas en cause.

Remettre le corps de Marguerite est évidemment une solution, mais j’avoue avoir du mal à m’y résoudre. Quant à Claire il est évidemment impossible pour elle de se dénoncer, car cela risquerait de l’envoyer en prison et lui ferait perdre la possibilité de prendre dans l’avenir la direction de la clinique qui dépend de l’armée.

Ce soir là, quand nous nous retrouvons, nous essayons de trouver une solution.

Nous envisageons toutes les possibilités. Et même si je suis prêt à reconnaître officiellement que le troisième corps était déjà en ma possession ce qui m’a, du reste, permis de reconnaître Marguerite, il est quand même beaucoup plus difficile pour nous d’admettre que Claire est responsable de ces enlèvements. En plus, la vraie question reste aussi de savoir si quelqu’un l’a aidée pour effectuer ces vols. Bien entendu, elle m’assure que non et que, si c’était le cas, elle refuserait de l’avouer pour ne pas l’impliquer, m’expliquant qu’elle s’était débrouillée toute seule puisque la clinique avait à sa disposition de nombreux chariots pour déplacer les corps. Il lui a donc suffit de mettre une blouse de médecin sur ses vêtements et, comme elle était connue, sa présence n’a surpris personne. J’avoue la comprendre et respecter son choix, mais j’obtiens qu’elle accepte de prendre l’avis du commissaire avant de faire quoique ce soit.

Le lendemain matin je vais donc  en parler  avec le commissaire,  lui annonçant que j’étais prêt à reconnaître avoir caché le corps de Marguerite avant la réaction de l’Enarque, mais que nous n’avions aucune solution pour expliquer comment les corps  avaient été volés.

Le commissaire m’avoue avoir lui aussi cherché en vain une réponse, envisageant même de ressortir des archives une vieille histoire de cadavres volés dans un cimetière en vue de les revendre à la science, mais un cimetière n’est pas une clinique gardée et cette explication n’est pas crédible.

Il accepte donc mon idée de reconnaître que j’avais déjà le corps de Marguerite, insistant sur le fait que c’est à sa demande que je ne l’avais pas signalé à l’Enarque car celui-ci avait immédiatement donné l’ordre de faire incinérer le cadavre de Charles de Gaulle et il ajoute qu’il va demander à son Ministère de faire classer cette affaire sans suite car ce voleur avait en fait agi pour le bien de la Nation en empêchant la création d’une arme de guerre, déjà interdite par le Ministère des Armées.

Son Ministère soumet donc cette solution au Ministère des Armées qui bien entendu refuse d’accepter que nous ne recherchions pas le voleur, considérant qu’il existe chez eux un traitre capable de divulguer des informations jugées « secret défense ».

Claire est effondrée par cette réponse et décide d’aller se dénoncer. Mais je lui suggère de soumettre d’abord le problème à l’ami de son mari, qui, faisant partie du Ministère des Armées, pourra l’aider dans sa démarche ou trouver une autre solution.

A contre cœur elle accepte une fois encore ma proposition, craignant d’impliquer inutilement son ami. J’insiste donc sur le fait que si elle se dénonce sans être protégée c’est notre couple qu’elle met en cause.

J’ai la satisfaction de constater que cet argument la touche. Elle va donc voir son ami du Ministère à qui elle explique le problème et c’est lui qui trouve la solution.

Il lui conseille de dire qu’elle a eu son mari au téléphone avant son départ en Afghanistan l’informant de ce qui se préparait et que, si effectivement ses craintes se réalisaient, il lui avait demandé de voler les corps des victimes pour qu’ils soient découverts et faire ainsi arrêter ces massacres. Et son ami ajoute qu’il expliquera à son Ministère qu’elle l’avait tenu au courant de ce qu’elle allait faire et que, sachant que l’Enarque agissait contre les ordres, pourtant clairs de son Ministère, il lui avait donné son accord en tant que représentant de l’Armée, prenant ainsi la coresponsabilité de cette action.

Bien entendu il a droit à quelques remontrances de ses supérieurs qui considèrent qu’il aurait dû les informer avant de laisser Claire agir.

Mais ils finissent par admettre que l’Enarque, étant en charge de ce dossier depuis le début, ils n’auraient rien pu faire, et ils reconnaissent que seule cette action spectaculaire a pu mettre fin à ces expériences.

Les deux Ministères tombent donc d’accord pour clore cette affaire et déclarer ces meurtres « sans suite ».

L’Enarque, de  son côté, est convoqué par ses supérieurs qui veulent comprendre pourquoi il n’avait pas interrompu ces expériences, puisqu’ils lui avaient ordonné l’arrêt depuis plusieurs mois, considérant ce virus comme trop dangereux et surtout ingérable tant que des médicaments appropriés n’existeront pas. Et comme les résultats de ces tests prouvent que ce virus détruit aussi bien l’ennemi que nos troupes, l’Enarque est démis de ses fonctions et nommé aux Anciens combattants à un poste subalterne.

Quant à l’infirmière elle est rapatriée avec une promotion et nommée dans la clinique militaire où avaient été soignées Marguerite et les autres médecins.

La  routine de notre commissariat reprend donc son activité normale, et un matin je propose à Claire

-« Si on invitait l’ami de ton mari et sa femme dans « notre restaurant ». Tu crois que ça lui ferait plaisir ? Après tout c’est grâce à lui que cette affaire se termine bien. »

Claire me regarde, hésite, et finalement bredouille

-« Il est homo. »

Je souris

-« Et alors ? »

-« Son ami est un militaire. C’est pour ça qu’ils n’aiment pas trop s’exposer en public. »

Je hoche la tête, avant d’ajouter

-« Mon invitation tient toujours. Tu n’as qu’à leur proposer. »

Elle hoche la tête

-« D’accord. Mais ça aura lieu à la maison. Je suis sûr qu’ils préféreront ça à un dîner au restaurant. »

Le samedi matin nous allons donc faire les courses Claire et moi et, pendant qu’elle fait la cuisine, je mets la table pour quatre personnes.

Comme je le craignais l’apéritif est un peu tendu, chacun cherchant ses marques malgré la conversation amicale et chaleureuse de Claire. Mais je les sens tous les deux attentifs, m’observant pour comprendre ce qui a pu nous rapprocher.

Au fur et à mesure que la soirée se déroule, l’alcool et la bonne nourriture aidant, l’atmosphère se détend et nous en arrivons à nous tutoyer et nous appeler par nos prénoms (ce qu’ils faisaient déjà avec Claire).

Et plus tard,  en partant, nous décidons d’une date pour un dîner chez eux.

Après leur départ, Claire m’avoue qu’elle appréhendait cette soirée, craignant qu’ils aient du mal à se détendre, m’avouant que c’est la première fois qu’elle les voyait détendus avec quelqu’un qui, peu de temps avant, était encore un inconnu. Et, en souriant, elle ne peut s’empêcher d’ajouter que c’est sûrement en souvenir de son mari qu’ils aimaient beaucoup. J’apprends aussi que l’ami du mari de Claire, Gérard, travaille comme secrétaire d’un Général et que c’est grâce à ce poste qu’il avait contribué à ce que son mari travaille dans la  clinique militaire, et, toujours grâce à lui, que le poste de directeur lui sera destiné.

Sans difficulté nous nous installons Claire et moi dans une vie de couple amoureux et sans problème, heureux d’être ensemble.

Notre complicité amicale avec le commissaire se trouve aussi renforcée, bien que nous n’ayons plus de meurtres ou autres problèmes importants à résoudre.

De temps en temps, il se joint aussi à nous pour déjeuner dans ce que nous appelions maintenant familièrement « notre restaurant ».

Un matin Claire me propose

-« Si on invitait le commissaire à dîner ? Je suis sûre que cela ferait plaisir à sa femme. »

Arrivé au commissariat, je vais frapper à son bureau

-« Nous serions très heureux de vous avoir à dîner un soir. »

Il hoche la tête, pendant que j’ajoute

-« Samedi prochain, ça vous irait ? »

Il sourit,

-« C’est parfait. J’apporte du champagne pour l’apéritif … Et je ne fumerai pas. »

La soirée se déroule dans la bonne humeur et Claire se surpasse pour être à la hauteur du dîner d’Odette.

Rassasié, heureux et souriant, le commissaire ne peut s’empêcher de demander en fin de repas

-« Je pensais que vous auriez aussi invité l’ami de votre mari. Après tout il fait aussi partie de notre équipe puisqu’il nous a aidés pour résoudre cette affaire. »

Claire, gênée, se force à  sourire avant de répondre

-« Vous savez il ne sort pas beaucoup. »

Le commissaire hoche la tête en souriant,

-« Peut-être que pour une fois … »

Mais déjà Odette enchaîne

-« Non. La prochaine fois ce sera chez nous. »

Puis faisant un clin d’œil à Claire elle enchaîne

-« Chacune son tour. C’est le « dur » rôle des femmes que cette société nous impose. »

Claire sourit, et hoche la tête sans répondre.

Plus tard, après le départ du commissaire et de sa femme, je lui demande,

-« Tu crois que Claude et Gérard accepteront ? »

-« Probablement. Mais Claude viendra seul. »

Effectivement Claude, accepte le principe de l’invitation, mais précise bien qu’il viendra seul car Gérard ne sera sûrement « pas libre », ou plus précisément ne voudra pas se « libérer » ajoute-t-elle en souriant.

Aussi quand je vais confirmer au commissaire que l’ami de Claire sera effectivement très heureux de le rencontrer, je précise néanmoins que comme il doit effectuer plusieurs missions à l’étranger, le dîner sera remis à plus tard.

Aucun meurtre ne vient pimenter le journalier de notre commissariat, ce qui nous laisse, à Claire et moi, plus de temps libre pour apprendre à nous connaître et à nous aimer.

C’est pour le dîner chez Gérard et Claude que j’ai la surprise de constater que, bien qu’habitant ensemble, ils occupent officiellement deux appartements différents dans le petit immeuble de cinq étages. Mais ce qui n’est pas précisé, c’est que ces appartements sont en réalité un seul duplex avec deux entrées, chacune à un étage, ce qui a été facile à aménager avec l’escalier de service car l’immeuble appartient Claude, dont il a hérité à la mort de son père.

Je m’attendais à un dîner mondain, mais j’ai la surprise de constater qu’ils nous reçoivent comme si nous étions de vieux amis, Gérard ne prenant même pas la peine, à notre arrivée, d’enlever le tablier qu’il a mis pour faire la cuisine. Et je retrouve avec étonnement une atmosphère similaire à celle que j’avais ressentie chez le commissaire avec, pour seule différence, que nous avons comme maîtresse de maison le secrétaire d’un Général.

Et là, durant l’apéritif, Gérard dit en rougissant

-« Je vous ai fait un Romazava. Un plat typique Malgache. J’y ai vécu plusieurs années quand mon père y était en mission, comme conseiller militaire. »

Puis, à l’attention de Claire il enchaîne

-« Mais ma recette est adaptée à notre pays car j’ai remplacé la viande de Zébu par du bœuf et les Brédes par des épinards. Mais, à mon goût, cela ne fait pas beaucoup de différence. »

Et avec un grand sourire il ajoute

-« J’espère que ça vous plaira. »

Et c’est ainsi que j’apprends que Gérard voulait devenir cuisinier, mais que son père, Général d’Armées, lui a imposé une carrière militaire identique à sienne. Il a donc fait Saint Cyr, comme Claude à l’poque, et c’est là qu’ils se sont rencontrés.

Le dîner se déroule dans la même atmosphère chaleureuse que nous avions eue lors de la soirée chez nous, Gérard et Claude ayant manifestement envie de raconter leurs vies et de prouver ainsi à Claire qu’ils m acceptaient.

Claire est sensible à leurs façons de me traiter et se montre particulièrement chaleureuse, leur faisant ainsi comprendre qu’elle les remerciait de leur façon d’être avec moi.

Les jours qui suivent nous paraissent monotones, car nos activités professionnelles restent peu motivantes, aussi bien pour Claire que pour moi. Pour ma part ma seule occupation consiste à mettre de l’ordre dans une salle d’autopsie désespérément vide. Le commissaire de son côté est heureux du calme retrouvé qui lui laisse le temps de plaisanter avec ses troupes auxquelles il rend de fréquentes visites, plus pour s’occuper que pour les surveiller.

Claire, pour sa part, profite de son temps libre pour reprendre des cours de psychologie, m’expliquant que les connaissances sur le cerveau humain évoluent très rapidement et que cela lui permet de se tenir au courant des dernières découvertes.

Un matin, alors que je suis en train de nettoyer pour la énième fois les tables d’autopsie, Claire vient me voir pour m’informer que Claude l’a contactée pour signaler des cas de ce qui semble être un nouveau virus mortel et que le Général a chargé son secrétaire, c’est à dire Gérard, de faire appel à notre commissariat pour trouver l’origine des nouveaux morts, car il avait été impressionné par notre façon de résoudre la première affaire sans impliquer le presse. Et, ajoute-elle, ils craignent que l’Enarque soit, une fois encore, la cause de cette nouvelle épidémie.

Le commissaire accepte avec  joie cette nouvelle mission, las lui aussi de la monotonie journalière de notre commissaire.

Dans un premier temps mon travail ne consistera qu’à étudier les analyses de sang qui ont été pratiquées sur les premiers cadavres, puisque c’est avec des  analyses de sang que j’avais aidé à résoudre l’affaire dite « de l’Enarque ».

Mais ces analyses de sang ne présentent aucun élément qui pourrait être assimilé à un virus mortel.

J’en informe Gérard qui en parle au Général qui admet que ces morts, tous d’anciens combattants, étaient âgés de plus de quatre vingt ans, mais que la présence de l’Enarque dans ce service avait suscité des soupçons, d’où sa demande.

Loin de nous amuser, la conclusion de cette nouvelle affaire nous confirme le mal qu’a fait la recherche de la nouvelle arme biologique en créant au sein de l’armée une psychose maladive, allant même jusqu’à soupçonner que la mort naturelle de vieillards était dues à des empoisonnements.

Claire veut surtout comprendre pourquoi c’est à nous que l’armée s’est adressée et non aux responsables de la clinique où travaillait son mari, comme ils le faisaient par le passé. Mais les initiatives de l’Enarque ont créé un doute et manifestement ils ne savent plus à qui faire confiance.

Cela laisse donc supposer que ce genre de recherche est habituel et que l’armée est continuellement à la recherche de nouvelles armes.

Bien entendu le commissaire s’amuse de notre réaction qu’il trouve « trop enfantine » pour ne pas dire « puérile ». Mais il ne peut s’empêcher d’ajouter que c’est tout à notre honneur car cela prouve nous croyons en l’humanité et à sa survie.

Et, quand quelques mois plus tard, le Ministère propose à Claire la direction de la clinique de l’armée, elle refuse le poste expliquant à Gérard qu’elle ne se sent pas prête, comme son mari avant elle, à accepter les compromissions que ce poste exige.

Mais la réputation de notre commissariat étant maintenant établie, le commissaire reçoit une demande de sa hiérarchie pour résoudre d’autres meurtres qui ont lieu dans plusieurs quartiers de la capitale.

Nous apprécions ces nouvelles affaires qui, loin de troubler notre journalier amoureux, nous libère de la monotonie actuelle du commissariat. Le commissaire aussi est très heureux de cette nouvelle activité qui lui permet d’avoir accès de toutes les affaires intéressantes de la ville de Paris et nous prenons l’habitude de nous recevoir à dîner, soit chez l’un, soit chez l’autre, pour étudier ces affaires autour de  bons repas.