Ecrire 1

Une bonne façon de vivre, d’exister quand le journalier ne vous satisfait pas.

J’imagine, je crée un personnage, mon personnage et je vis avec lui, en lui.

Chaque jour est différent, positif ou négatif suivant mon humeur. Mais il dépend toujours de moi. Même quand il pleut, je peux me promener sur une plage ensoleillée, me baigner dans une eau limpide, chaude, me laisser bercer par les vagues.

–    « Tu m’aimes ? »

Début ou fin d’une histoire ? A moi de décider.

Marie.

Je suis née en Normandie, dernière et seule fille d’une famille de 5 enfants. Un accident paraît-il. Rien de tel pour se sentir aimée, désirée. Et puis j’étais une fille, trop jeune pour aider, comme mes frères, notre père à s’occuper des vaches qui, je l’avoue, me faisaient un peu peur. Ma mère était institutrice, souvent absente pour éduquer d’autres enfants dont elle parlait avec tendresse.

Je n’ai pas de mauvais souvenirs de mon enfance. Juste un sentiment de solitude. J’avais quand même des amis de mon âge, mais rien d’important. Plutôt des substituts d’amis. Même chose pour mes histoires d’amour. Et puis je vivais à la campagne où la sexualité est une étape normale. Mon père et mes frères parlaient librement de faire engrosser les vaches. Aussi, presque par hasard, j’ai perdu ma virginité sans y attacher d’importance.

A 18 ans je me suis inscrite à l’université pour suivre des études de lettres à Paris. Mon frère aîné était marié, déjà père de deux enfants, et avait repris la ferme familiale. Mon père continuait à l’aider tout en parlant retraite. Mes autres frères aussi étaient installés dans leurs vies d’adulte. L’un instituteur pour suivre les traces de ma mère, l’autre fonctionnaire à la mairie de notre village et le dernier, mon petit frère même s’il avait dix ans de plus que moi, marin, parti à la découverte d’autres mondes. C’est le seul qui comprenait mon désir d’une autre vie, mais lui aussi avait choisi de fuir notre enfance.

C’est en cherchant un logement que je l’ai rencontrée

–    « Moi c’est Emma »

–    « Marie »

–    « Toi aussi tu cherches une chambre ? »

J’ai hoché la tête, sans répondre

–    « Je viens de visiter un petit deux pièces dans le  quartier. Ça t’intéresse ? »

Je l’ai regardée. Elle avait l’air sympa.

  • « Tu me montres ? »

C’est comme ça que j’ai emménagé avec elle. Etudiante en philosophie elle venait aussi de Normandie. Très vite nous nous sommes trouvé des points communs. Des frères, deux pour elle, une enfance en banlieue d’une petite ville, des parents, propriétaires d’une petite épicerie, trop occupés pour s’occuper d’eux. En temps qu’aînée, elle était en charge de la maison et de ses frères. Mais s’ils habitaient une vieille ferme, comme mes parents, la leur ne servait plus que d’habitation, l’exploitation agricole ayant été abandonnée depuis très longtemps.

Très vite nous sommes devenues inséparables et comme les horaires de nos cours ne correspondaient pas nous avions aussi nos heures d’intimité. Nous étions très différentes mais complémentaires. Autant j’étais renfermée, habituée à la solitude, autant Emma était exubérante et aimait être entourée d’amis. Nos soirées étaient festives au contraire de la vie que j’avais menée jusqu’à présent. Je me suis très vite laissé apprivoiser par cette nouvelle vie. Je savais Emma responsable de ce changement et lui en étais reconnaissante. Nos amis communs trouvaient normal de se retrouver chez nous, car nous étions les seules à ne pas habiter des chambres de bonnes.

Je n’avais aucune envie de retourner en Normandie, et j’évoquais toujours l’excuse de mes cours pour ne pas répondre aux demandes répétées de ma famille. Emma, au contraire, rendait régulièrement visite à sa famille, me laissant à ma solitude, car même nos amis les plus fidèles trouvaient des excuses plus ou moins crédibles pour ne pas passer leurs soirées avec moi. Elle revenait de ses week-ends détendue, heureuse et me racontait avec force détails ses séjours qu’elle trouvait toujours trop courts. Elle m’a proposé de l’accompagner plusieurs fois, mais j’ai toujours refusé.

Et puis mon frère, le troisième, m’annonce son mariage. Impossible de ne pas y aller. Je connaissais sa future femme. Une fille du village, son amie depuis toujours, fonctionnaire à la mairie comme lui. Elle a son âge, donc je la trouvais vieille. Comme toutes les amies de mes frères, je dois dire.

Je propose à Emma de m’accompagner.

–    « Bonne idée. J’en profiterai pour passer voir ma famille. »

Et ce qui était une corvée est devenu pour moi un pèlerinage. Nous avons loué une voiture pour rester indépendantes. Je n’ai pas eu mon permis, mais Emma oui.

Le jour dit, nous sommes parties tôt le matin pour être à l’heure à la cérémonie. Banale, classique, provinciale. Robe blanche pour la mariée, ce que je trouve parfaitement ridicule puisque tout le monde sait qu’ils vivent ensemble depuis quelques années. Sourires, embrassades à n’en plus finir avec la famille éloignée et des amis que je n’ai jamais connus ou volontairement oubliés. La ferme est devenue un immense buffet et même les vaches semblent faire partie des convives.

Mon petit frère, enfin celui que j’appelle comme ça, n’est pas là. Bloqué à Valparaiso disent fièrement mes parents. Je le regrette. J’aurais adoré le présenter à Emma.

De la cérémonie et de la réception, je n’ai gardé qu’un souvenir d’ennui et la conviction que cette vie n’est plus la mienne. Pourtant mon père me touche, m’exprimant, de sa manière bourrue, sa joie de ma présence, non sans me reprocher à demi-mots de ne pas venir les voir plus souvent. Il évoque même la possibilité, quand il sera vraiment à la retraite, de me rendre visite à Paris. Mais les enfants de mon frère aîné, dont j’ai été pendant trop longtemps la baby-sitter, n’ont pas exprimé de joie ou simplement de curiosité à me revoir.

Emma a l’air de beaucoup s’amuser de la similitude des nos passés. Elle retrouve aussi des amis de ses parents, très fiers d’expliquer qu’ils l’ont connue  toute petite à l’époque où ils habitaient dans le même village qu’elle. Cela rassure ma mère, prête à la considérer comme sa seconde fille car, bien qu’elle refuse de l’admettre et qu’elle soit fière de ses fils, elle aurait aimé avoir d’autres filles de leurs âges et non le bébé que j’étais à l’époque.

C’est en fin de  journée qu’elle me murmure

– « Ton amie ne rentre pas chez elle ? »

– « Non. Nous repartons toutes les deux demain matin. »

– « Je n’ai pas de chambre pour elle. Elles sont toutes occupées. »

– « Ne t’inquiète pas. On se débrouillera. »

Elle me regarde bizarrement.

C’est en entrant dans mon ancienne chambre avec Emma que je comprends.

– « Je suis désolée. J’avais oubliée que le lit était aussi petit. »

Emma, amusée, se contente de hausser les épaules.

– « Pour une nuit, on se fera une raison. »

Et elle commence à se déshabiller.

– « Au fait, je dors nue. »

– « Moi aussi. De toutes les façons je n’ai pas de chemise de nuit à te proposer. »

C’est faux, mais je veux être cool.

Nous nous déshabillons, gênées, évitant de nous regarder. Mais, dans le lit, nous ne pouvons éviter nos corps de se toucher.

– « Bonne nuit. »

Emma répond par un grognement et, dos à dos, nous essayons de dormir. Je la sens mal à l’aise comme moi et je mets beaucoup de temps à m’endormir, malgré la fatigue de la  journée.

Le lendemain matin nous nous réveillons enlacées. Troublée, je bondis hors du lit, ce qui déclenche un fou rire chez Emma.

– « Au moins on a bien dormi. »

Je la regarde, et répond à son rire.

Nous arrivons, encore souriantes, dans la cuisine où mon frère, instituteur à Rouen, est attablé devant une tasse de café. Il a gardé sa chambre et, tous les week-ends, revient à la ferme pour donner un coup de main.

En nous voyant arriver il dit

– « Le café est prêt vous n’avez qu’à vous servir. »

– « Merci. » répond Emma.

Il hoche la tête, et continue à boire.

Je remplis deux tasses, en tends une à Emma qui, sans m’attendre, commence à boire.

– « Il est très bon. »

Mon frère sourit.

– «  C’est ma spécialité. »

Emma répond à son sourire.

Attablée à mon tour devant ma tasse de café, je suis surprise. Cet échange d’amabilités laisse entrevoir une grande complicité. C’est vrai que durant la soirée qui a suivi la cérémonie de mariage j’ai souvent aperçu Emma en grande discussion avec lui, mais je n’y ai pas attaché d’importance. Pourtant là, devant cette évidente complicité, je me sens rejetée et, je dois l’avouer, un peu jalouse. Après tout c’est mon frère, et, jamais, je n’ai eu avec lui ce genre de rapport.

Plus tard, au moment de partir, mon frère vient m’embrasser pour me souhaiter bon voyage, et, penché vers moi, murmure

– « Bienvenue au club. »

Je ne comprends pas et hoche la tête sans répondre.

Dans la voiture, sur la  route qui nous conduit chez les parents d’Emma, elle me dit

– « Tu veux qu’on en parle. »

– «  Non ! »

Je réponds, vite, trop vite, peu désireuse d’évoquer notre réveil.

Elle se tait quelques minutes, puis, amusée, enchaîne

– « Ton frère nous a invitées à Rouen. Il voudrait nous faire connaître son petit copain. »

Je la regarde sans comprendre.

En riant, elle me répond

– « Ils sont tous persuadés qu’on est ensemble. »

Effarée, je la regarde

– « Mon frère est homo ? »

– « Tu ne le savais pas ? »

– « Non. Mais toi, comment le sais-tu ? »

– « Parce qu’il me l’a dit. »

Je reste silencieuse, sans savoir comment réagir. Ma réaction déclenche un nouveau fou rire chez Emma.

Contrairement à moi, Emma est heureuse de retrouver sa famille. Je le sens à sa façon de conduire, plus nerveuse, plus rapide.

Leur maison, bien que ce ne soit pas une ferme entourée d’animaux, ressemble à la nôtre, comme presque toutes les vieilles fermes de la région, et ses parents aux miens. Mais en beaucoup plus jeunes, plus souriants, plus chaleureux aussi. Il en est de même de leurs deux fils, encore scolarisés, qui, heureux de retrouver leur grande sœur, n’hésitent pas lui exprimer leur amour. Moi aussi ils me reçoivent avec une gentillesse qui n’a rien de surfaite.

Pour notre venue ils ont préparé un bon dîner et tout le monde parle en même temps. Emma répond avec enthousiasme à leurs questions, raconte notre vie à Paris, ses études, nos amis, le mariage de mon frère aîné et de sa rencontre avec leurs anciens voisins.

Ils me questionnent aussi, mais incapable d’être aussi éloquente dans mes réponses, ils arrêtent vite, se contentant des commentaires et des histoires d’Emma.

La soirée passe très vite et je redoute la nuit qui nous attend. Mais le petit frère d’Emma a décidé de partager le lit de son aîné afin de me laisser sa chambre. J’avoue que cela me rassure, encore troublée et gênée par notre réveil dans mon petit lit d’adolescente.

De retour à Paris nous reprenons nos habitudes journalières, évitant soigneusement de parler de notre week-end dans ma famille. Nos amis aussi recommencent à passer leurs soirées chez nous et la vie continue comme avant, avec mes cours de littérature, de philosophie pour elle, de longues passées heures à la bibliothèque et des soirées animées, entourées d’amis.

Un soir, après une soirée que l’on peut qualifier d’ordinaire, Emma entraîne Claude dans chambre. Surprise, je me sens frustrée, puis furieuse. Pas jalouse au sens propre du mot, mais trahie.

A partir de ce moment je n’ai qu’un désir attirer Claude dans ma chambre. Pas un autre de nos amis, mais Claude, celui qu’elle a choisi.

Je commence à faire n’importe quoi, n’hésitant pas, quand je sais qu’il est là, à sortir à demi-nue de la salle de bain. Il est gêné. Emma est surprise la première fois, puis amusée jusqu’au jour où, par mégarde (ce n’est pas le mot exact mais celui que j’aime donner) je laisse glisser ma serviette et me retrouve nue devant lui.

C’est à ce moment que naît un sentiment de concurrence entre nous, sentiment qui entraîne la rupture de notre amitié. Du coup, notre cohabitation n’est plus possible et Emma me demande de chercher un autre logement. Nous nous disputons, battons, je tombe, me cogne la tête contre le coin de la petite table du salon. Je suis amenée en urgence à l’hôpital.

Emma n’est inculpée pas mais je ne survie pas à cet accident.

Je trouve que le personnage de Marie est devenu antipathique. Donc elle n’a pas d’avenir dans mon histoire. Je préfère la personnalité d’Emma.